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    Adieu BertheAdieu Berthe  Adieu Berthe
      Ou l'Enterrement de Mémé

    Adieu Berthe marque le grand retour du thriller à la française sur les écrans. L'intrigue est simple et ce n'est pas la moindre des qualités de ce genre qui connut ses heures de gloire avec Mon Oncle, honteusement plagié par Francis Ford Coppola sous le titre Le Parrain.

    Sous le prétexte fallacieux, quoique hygiénique, d'enterrer une grand-mère aussi fanée qu'un coquelicot grillé par la canicule et les averses de lisier, Armand prépare l'élimination conjointe de sa femme et de sa maîtresse en mettant en concurrence deux entreprises de pompes funèbres. La vraie Mémé a depuis si longtemps disparu des mémoires que nul portrait n'en reste. Chaque croque-mort pourra donc se mettre sous la dent un cadavre faussement rebaptisé Berthe et tout le monde n'y verra que du feu lors de la crémation. Ou alors c'est à n'y rien comprendre. Ou que Berthe n'était pas celle qu'on croyait. Allez savoir avec les vieux, ils se ressemblent tous.
    Indécis et influençable comme la plupart des héros des frères Podalydès, Armand devra faire face au machiavélisme d'une belle-mère acariâtre associée à l'un des margoulins de la finitude, et se dépasser pour trouver enfin la quiétude et, qui sait, la paix éternelle.

    Tout est dit. Et pour une fois en peu de mots.
    Le lente descente aux enfers du héros en proie à ses doutes métaphysiques, auxquels une nécessaire cruauté confère des accents Nietzschéens sur un air d'Emilio Bouglionne, n'est pas, en effet, le principal propos de cette œuvre ambigüe. La véritable intention des auteurs est de nous confronter à ce choix quotidiennement repoussé au nom de l'efficacité industrieuse de nos vies entièrement tournées vers la performance, financière le jour, sexuelle la nuit (sauf pour les prostituées, qui seules savent associer les deux dans une union charnelle du prolétariat et du sport de haut niveau) ; ce choix cornélien et néanmoins ubuesque qui se présente à nous dès notre premier hochet et reste pourtant une source infinie de procrastination tant le sujet nous effraie : Que choisir pour en finir ? La couche en chêne rouge ornée de bandes fluos avec un petit élastique là et des poignées invisibles comme sur les poubelles italiennes ? Ou l'urne thermostatée en inox brossé avec un anneau en latex rose pour les filles, bleu pour les garçons et jaune à paillettes pour les indécis ?
    Autrement dit, doit-on préparer sa fin au risque de passer de mode avant de passer tout court ou bien laisser le mauvais goût des autres s'en emparer comme il le fit de chacun de nos anniversaires ?
    Ni l'un ni l'autre, répondent les auteurs avec une détermination fraternelle, libertaire et égalitariste avant d'entonner le chant des anarchistes paillards : Vivons heureux en attendant la mort.

    Oui, « Vivons heureux en attendant la mort ! » clamait Desproges en constatant que si le chat n'était plus sur les genoux de Mémé, c'est sans doute qu'elle était déjà froide.

    Est-ce pour autant une raison de s'en prendre à l'honorable corporation des croques-morts qui, à l'instar des boulangers, ne manquera jamais de pain sur la planche tant qu'il y aura des hommes pour faucher les blés et du blé pour faucher les hommes ? D'ailleurs, n'est-ce pas dans les vieux pétrins que l'on fait les meilleures bières ?
    N'ont-ils pas eux aussi le droit d'être innovants et d'utiliser les dernières évolutions en matière de technologie et de marketing pour pimenter l'adieu aux hommes d'un dernier éclat de joie, de quelques explosions de couleurs guillerettes, de féérie et de magie, qui rappelleront plus tard aux enfants devenus grands comme on s'était bien amusé le jour où Mémé s'était fait la malle dans une pirouette pyrotechnique époustouflante, juste avant les petits-fours ?
    Quelle lâcheté que de tourner ainsi en dérision le mercantilisme créatif des travailleurs de la mort sans lesquels nos corps sans âmes ne seraient que des dépouilles malodorantes dépourvue de la moindre dignité esthétique !

    Il semblerait bien que, malgré leur éducation versaillaise, les frères Podalydès soient eux aussi adhérents de l'IFA*. Dieu que c'est regrettable et que ce regret est éternel !

    Comme tous les adversaires primaires du capitalisme, qui seul, rappelons-le, permet d'associer l'injustice à la bonne conscience dans l'adoration du progrès, différenciant ainsi l'homme moderne de la femme de Neandertal ; comme tous ces artistes pusillanimes qui associent - à juste titre, certes, mais qui s'en soucie - la croissance financière à la régression mentale, ces deux-là sont avant tout des nostalgiques d'une époque qu'ils n'ont heureusement pas connue, sinon ils applaudiraient comme tout le monde chaque fois qu'un enfant asiatique présente fièrement à son maître la paire de chaussures qu'il vient d'achever et qui accueillera si confortablement les pieds occidentaux rétifs aux semelles de bois.
    Les frères compères ne sont finalement que des enfants qui refusent de grandir et s'enferment depuis leurs premières bobines de Super 8 dans un univers naïvement coloré, tendre et surprotégé, issu de la bibliothèque verte et des albums de Casterman qui inspirent l'essentiel de leurs décors. Cette admirable Malle des Indes aux rayures bleues et blanches, par exemple, qui permet toutes les régressions, tous les tours de magie et, par extension, toutes les disparitions mystérieuses et néanmoins définitives. Plus fort que le Mystère de la Chambre Jaune, Adieu Berthe nous permet de retrouver cet agréable mélange d'illusion et de logique imparable qui nous tient en haleine sans que nous ayons à perdre notre innocence enfantine ni nous confronter à la réalité pesante des cadavres facétieux dont les thrillers sont d'habitude si friands.

    Seule manque à cette œuvre, pour en faire un classique du film noir, la présence d'une vamp digne de ce nom, une Bérénice Béjo par exemple, dont les jambes finement galbées et le regard empreint de perversité aguichante auraient donné un sens bien plus intéressant aux envolées volcanologiques du réalisateur que la prose de Tazieff, tout en chatouillant l’œil humide et la libido à sec du mâle européen, affalé devant le morne défilé des corps sans charmes des goulues de la télé, et qui se demande à quoi il sert depuis que la guerre se fait sans lui, que des femmes torturent elles aussi des taureaux dans les arènes et qu'avouer son désir sans avocat devient plus dangereux que de braquer une pharmacie sans ordonnance.
    Heureusement, les grands yeux clairs d'Isabelle Candelier sont là pour engloutir ses désillusions dans une promesse de fougue conjugale dont les plus amers sauront se réjouir en attendant faute d'être des héros.

    Courez voir ce film, la bière vous semblera plus fraîche et l'ombre des ifs plus accueillante.
    Courez rire de la mort, de l’Alzheimer galopant, de la lâcheté masculine et des maîtresses envahissantes.
    Ah ! Qu'il est bon, quand des nuages glacés crèvent en juillet sur les plages de l'atlantique et que les Syriens crèvent en masse sous le regard glacé de l'alliance atlantique, de savoir que la mort peut aussi nous toucher. C'est donc que nous ne sommes pas si vilains. Et puis c'est si joli une kermesse au milieu des tombes.

     

    Pégéo, un jour que la Mort Subite
    avait un bon goût de pomme.

     

    * Internationale du Film Anticapitaliste : Groupuscule obscurantiste de cinéastes anarchistes dégoulinants de bon sentiments souvent dénoncés ici ou là, ou encore là, il suffit de fouiller dans les critiques.

     


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  • Un Air de famille

    Un air de famille de Cédric Klapish.
    Avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Catherine Frot, Jean-Pierre Daroussin, Wladimir Yordanoff et plein d'autres acteurs admirables de courage tant il faisait froid sur le tournage.
    Synopsis : Version huis-clos et bistrotière d'Intolérance (D.W. Griffith), les travellings en moins, le jukebox en plus.
    Cité dans : Le Grand Soir  /  Voir la fiche  Allociné


    Matrix
    Matrix
    de Larry Wachowski, Andy Wachowski
    Avec Keanu Reeves, Laurence Fishburne, Carrie-Anne Moss et des lunettes pour beau gosse.
    Synopsis : Reconstitution de la célèbre partie de ping-pong entre Max Planck, Niels Bohr et Albert Einstein qui se termina par une explosion de colère divine.
    Cité dans : The Day He Arrives / Voir la fiche  Allociné


    Le Livre de la jungle
    Le Livre de la Jungle
    de Wolfgang Reitherman 
    Avec Mowgli, Baloo, Baghéera dans leurs propres et rôles et Ka dans celui du méchant de service alors que dans le livre c'est un sage.
    Synopsis : Un futur pollueur apprend la loi de la jungle avec un orchestre de jazz. Surréaliste. 
    Cité dans : The Day He Arrives / Voir la fiche  Allociné


    Mammuth
    Mammuth
    de Gustave Kervern, Benoît Delépine.
    Avec Gérard Depardieu, Yolande Moreau, Anna Mouglalis et la moto de mon grand-père.
    Synopsis : La France vue de la route par une victime de la chasse au gaspi.
    Cité dans : Le Grand Soir / Voir la fiche  Allociné 



    Louise-Michel
    Louise-Michel
    de Gustave Kervern, Benoît Delépine.
    Avec Yolande Moreau, Bouli Lanners, Aglaée et Sidonie.
    Synopsis : Adaptation de Il ne faut jurer de rien de A. de Musset dans les milieux anarcho-prolo-sans boulot de la France qui perd.
    Cité dans : Le Grand Soir / Voir la fiche  Allociné 

     


    La Délicatesse
    La Délicatesse
    de David et Stéphane Foenkinos.
    Avec Audrey Tautou, François Damiens, Bruno Todeschini et une photocopieuse en panne.
    Synopsis : L'art de l'hypocrisie avant celui de la normalité ou comment séduire sans remuer les oreilles.
    Cité dans : De Rouille et d'Os / Voir la fiche  Allociné 


    Un prophète
    Un Prophète
    de Jacques Audiard.
    Avec Tahar Rahim, Niels Arestrup, un grand cerf et une lame de rasoir.
    Synopsis : Documentaire hygiéniste sur l'adaptation de la Sittelle corse (Sitta whiteheadi) aux prisons continentales.
    Cité dans : De Rouille et d'Os / Voir la fiche  Allociné   


    Les Dents de la MerLes Dents de la Mer de Steven Spielberg.
    Avec Roy Sheider, Robert Shaw, Richard Dreyfuss, une bouée Donald Duck et le fils cachée de Flipper.
    Synopsis : L'adolescence de Cousteau, notamment l'été décisif où il vainquit sa phobie des bonnets rouges grâce à une dent de requin prélevée sur le corps d'un camarade déguisé en sirène.
    Cité dans : De Rouille et d'Os / Voir la fiche  Allociné 


    Préparez vos mouchoirs
    Préparez vos Mouchoirs
    de Bertrand Blier.
    Avec Gérard Depardieu, Carole Laure, Patrick Dewaere et un matelas à ressort.
    Synopsis : Apologie de la frigidité féminine par un cinéaste puritain au sommet de ses délires malthusiens.
    Cité dans : De Rouille et d'Os / Voir la fiche  Allociné



    Sam je suis Sam
    Sam, Je suis Sam 
    de Jessie Nelson.
    Avec Sean Penn, Michelle Pfeiffer, Dakota Fanning et le club du Fouquet's à l'entraînement.
    Synopsis : Le métier d'homme pour les nuls. Bouleversant, même pour les amputés du palpitant.
    Cité dans : De Rouille et d'Os / Voir la fiche  Allociné 

      

    Mars Attacks!Mars Attacks! de Tim Burton.
    Avec Jack Nicholson, Glenn Close, Pierce Brosnan et la collection de jouets Kinder Surprise de l'auteur.
    Synopsis : Documentaire prémonitoire sur les premières expériences de Georges W. Busch dans la gestion de conflit et l'utilisation des armes de destruction massive.
    Cité dans : Dark Shadows / Voir la fiche  Allociné


    Love Story
    Love Story
     de Arthur Hiller.
    Avec  Ali McGraw, Ryan O'Neal, un crabe sanguinaire et des tonnes de sucre.
    Synopsis : Comédie hilarante sur les dangers de l'amour libre, le crabe en boîte et l'abus de sucrerie destinée à affuter l'appétit des GIs avant d'aller bouffer du Viet..
    Cité dans : Dark Shadows / Voir la fiche  Allociné 

     

    Pirates des Caraïbes : la Malédiction du Black PearlPirates des Caraïbes de Gore Verbinsk.
    Avec  Johnny Depp, Geoffrey Rush, Orlando Bloom, des tas de jolies filles et quelques escargots de mer.
    Synopsis : Une croisière tourne au drame quand la fille du capitaine s'amourache d'une pieuvre à cause de tout ce qu'elle peut faire avec ses huit bras.
    Cité dans : Dark Shadows / Voir la fiche  Allociné 

     

    La Chevauchée fantastique
    La Chevauchée Fantastique
     de John Ford.
    Avec  John Wayne, Claire Trevor, John Carradine, Thomas Mitchell et de vrais indiens très méchants pas comme les Bisounours de Danse avec les Loups.
    Synopsis : Le compte-rendu d'une rencontre culturelle entre une troupe de folklore américain d'avant-garde et les premiers punks de l'Arizona.
    Cité dans : Querelles / Voir la fiche  Allociné  


    The Servant
    The Servant
     de Joseph Losey
    Avec Dirk Bogarde, Sarah Miles, James Fox et des lumières qui sculptent admirablement les visages.
    Synopsis : Drame religieux. La controverse sur le sexe des anges se transforme en lutte des classes.
    Cité dans : Querelles / Voir la fiche  Allociné  


    Bovines
    Bovines
     
    de Emmanuel Gras
    Avec le casting de Sex and the City avant leur premier lifting. 
    Synopsis : Thriller de science-fiction. Des extra-terrestres encornés commencent à  dévorer la Terre et le Génie des Alpages a la maladie de Kreuzfeld-Jacob.
    Cité dans : Bullhead / Voir la fiche  Allociné



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  • Le Grand SoirLe Grand Soir Le Grand Soir

     « Les punks vont vieillir, les punks vont mourir » titrait Hara-Kiri au-dessus de la photo d'un punk septuagénaire gisant dans sa dernière bière, modèle tout en sapin. Choron ne savait à quel point ils allaient nous manquer.

     Le Grand Soir est le film revigorant dont nous avions besoin en cette fin de printemps pourri gâché par la normalité abêtissante de ce début de quinquennat. Il a la fraîcheur d'une Mort Subite tout droit sortie de sa tombe, avec cette pointe d'acidité que confèrent les terroirs riches en cellules-souches inemployées.
     Ah ! Qu'il est bon, en cette période de beaufrie bien-pensante aussi médiocre qu'un palmarès du Rotary de la ZAC des Grands-Clapiers, qu'il est désaltérant de prendre un bain de jouvence poétique tout en écoutant les Wampas, dont les mélodieuses disharmonies provoquent l'extase des foules romantiques aux visages baignés de tendres larmes, de sueur noble et de coulures de Kro légèrement amères, qui relèvent l'odeur aseptisée du quotidien des midinettes d'une subtile fragrance masculine épicée d'animale virilité !

     Malgré son titre aux accents anarchistes, Le Grand Soir est en effet la bluette familiale de l'été, largement inspirée de La Petite Maison dans la Prairie*.
     Rien n'y manque. Ni les parents dégoulinants d'amour et de joyeux sacrifice pour leurs rejetons adorés, ni le chien à la fois mignon, gentil, courageux, intelligent et rempli d'abnégation enthousiaste, qui sert de modèle discret et pernicieux aux enfants dont on aimeraient bien qu'ils acquièrent ces vertus grégaires, qui seules différencient l'homme dignement soumis du parasite libertaire.
     Oui, mes chers compatriotes consommateurs et conchoïdaux, que serions-nous sans l'exemple admirable de ces toutous pour contrebalancer la néfaste tendance de l'être humain non-dressé à la liberté, l'égalité, la fraternité et pourquoi pas tant qu'on y est, l'anarchie ?!
    Et que serait le septième art sans ces comédiens 100% naturels pour titiller la corde sensible de ces urbains un peu niais, trop tôt sevrés de leur doudou, que nous sommes devenus ?
    Gloire soit donc rendue à la bestiole sautillante et jappante déjà entrevue dans The Artist et Parlez-moi de vous.

     L'intrigue a la simplicité confondante des œuvres éternelles.
     Deux frères rivaux, mais heureusement bien nourris de patates à défaut de lentilles, se réconcilient à l'occasion d'un drame familial. A l'aube de la quarantaine installée, Caïn et Abel apprennent qu'ils ne sont que demi-frères, qu'Adam n'est pas celui qu'ils croyaient et qu'en plus le monde est méchant car leur mère a fauté par deux fois. Celle-ci, grande bourgeoise aux lèvres pincées malgré ses égarements, coquette au point de détester les anniversaires qui invalident le mensonge protecteur de ses crèmes anti-rides, en permanence juchée sur des talons hauts que l'âge a dû se résoudre à compenser pour assurer un minimum d'équilibre et de dignité, celle-ci expie depuis de longues années ses deux uniques moments d'érotisme hors-cadre en taillant d'infinis rubans de pomme de terre avec un couteau à tétanos. Telle une Ariane aux doigts perclus d'arthrose nageant dans un brouillard à l'odeur de graillon, elle tente de préserver sa progéniture de la terrible vérité en tissant sans relâche un cocon protecteur en fil de patate dans un restaurant pour cadres subexistants.
     Hélas, l'heure de la retraite sonne et la vérité explose comme une bombe trop mûre pour attendre que les enfants aient fait leur trou. C'est d'ailleurs là toute la différence entre la vie de famille et la guerre. Les généraux, quoiqu'aussi menteurs que des parents indignes et lâches, attendent généralement (c'est leur privilège) l'explosion des obus et la dispersion des corps pour sonner la retraite de ceux qui n'y sont pas restés, et prendre la leur dans le mas provençal offert par les fabricants de hachoirs de bonshommes à distance.

     Le père, lui, observe en silence, convaincu que si ça ne va pas, ça pourrait aller encore plus mal. Par conséquent il fait aller à la va-comme-je-te-pousse et ça va plutôt bien jusqu'au jour où ça ne va plus car tout va à vau l'eau et que le « Ça ira » qui trotte dans sa tête comme une antienne rassurante commence à se trémousser sur l'air de la Carmagnole.
    Ce soir-là, qui fut grand mais pas assez, ces fils franchissent enfin les bornes de la maturité et s'adressent à lui d'une même voix solennelle. «Papa, pourquoi tu ne nous as pas dit que c'était si dur la vie ? » Réplique culte que tout père redoute un jour d'entendre tant la seule réponse juste mais malheureusement insatisfaisante reste : « Parce que sinon, ça aurait été encore plus dur. »

     Tout est dit.
    Symptôme de notre société infantilisante, les quadras, malgré leur efforts dérisoires pour sortir dignement de l'adolescence, ont encore une fois besoin de leur papa pour accomplir l'acte fondateur de leur réelle liberté, l'affirmation jubilatoire de leur individualité à la face mercantile du monde qui les ignore.
     Ce film, cynique en apparence, n'est en réalité qu'un plaidoyer déguisé pour l'ordre établi, le conformisme bêlant des consommateurs pusillanimes et une apologie à peine masquée de la dictature des marques commerciales.
     C'est d'ailleurs par soumission à celles-ci, et au financement quasi exclusif du film par le placement de produits, que l'action se passe dans une zone commerciale péri-urbaine, dont les gigantesques enseignes multicolores forment un bouquet criard de fleurs racoleuses, celles qui ont supplanté les bleuets, matricaires, coquelicots** et autres fragiles messicoles qui poussaient en ces lieux avant que la laideur s'installe.

     La perversité et le double langage des auteurs ne connaissent aucune limite. Le plus poignant des cris libertaires se voit ainsi transformé en un panneau d'accueil hollywoodien digne de Toys'R'us, trônant au-dessus des nouveaux temples d'Hermès d'une ZAC obèse, grâce à la collusion de toutes les enseignes abondamment promues tout au long du film sous couvert de sarcasmes et de réalisme. Le mur de l'argent a beau être en couleurs et avoir des allures de tag, les réalisateurs ne pourront duper un public, certes rendu cérébralement disponible par des décennies de propagande mercantile, mais encore suffisamment vigilant pour déceler la supercherie des suppôts de la finance déjà dénoncés dans Intouchables.

      Non, MM. Delépine et Kervel ! Non, les punks ne sont pas morts quoique vieillissant mal ! Et même si les Indignés n'en sont que les rejetons propres-sur-eux et ramollis, le drapeau noir flotte encore avec vigueur dans le cœur à jamais insoumis des spectateurs dignes de ce nom malgré la difficulté à se fournir en épingles à nourrice depuis que le piercing est devenu un marché juteux.
     On reconnaît bien là le diabolisme vampirisant de ces deux romantiques bon chic bon genre, qui n'ont de cesse depuis Mammuth et Louise-Michel, et sous prétexte de le dénoncer, de polir l'image racornie d'un système Kafkaïen en l'affublant des oripeaux sirupeux de l'amitié invincible, du communisme bien-pensant ou de la rébellion sans décapitation, dans le seul but de nous faire passer des suppositoires sans vaseline pour des Magnum au chocolat et vice-versa.
     Que Sid et Johnny m'en soient témoins, ce film est trop propre pour être honnête. Il est même pudibond, c'est vous dire, tant il manque de femmes. De vraies femmes. De celles pour lesquelles les hommes se réveillent et se battent. Des déesses érotiques grâce auxquelles l'absence de futur devient une bénédiction, tant elle laisse de temps pour réaliser les fantasmes que jamais galant homme ne saurait imaginer en découvrant pour de vrai, rougissant d'émotion et l’œil humide de bonheur, le fuselage indécent de perfection des jambes de Bérénice glissant par l’entrebâillement aguicheur d'un fourreau, alors qu'il ne songeait, un instant plus tôt, qu'à caresser, pétrir ou défoncer la chair entraperçue d'une inconnue qui faisait la queue devant lui pour acheter des épingles de sûreté. (Ceux qui trouveront le texte exact et le titre du sketch ici parodié gagneront une photo dédicacée de l'auteur en tenue de combat.)

     Lâchez votre caddie et courez voir ce film !
     Albert Dupontel a la folie sauvage et rafraîchissante de ceux que les grands espaces habitent, de ces extra-lucides qui rient de la mort et de l'horreur parce qu'elles ne servent qu'à ça. Benoît Poelvoorde y est touchant de loose assumée avec fierté et de bonté incomprise, Brigitte Fontaine a l'élégance d'un clown funambule.
     Lâchez-vous et courez !
     Lâchez-moi et restez libres !

     L'étendard noir des vrais humanistes, le seul sur lequel broder les trois mots en -té aurait un véritable sens, ne flotte plus guère que par gros temps, il est vrai, quand le ras-le-bol l'emporte sur la peur. Il est usé. Il est grisonnant. Comme les cheveux des derniers punks à chien.
     Mais bon sang, que ça fait du bien de le revoir !

     

     Pégéo, un jour de chance : j'avais marché dans le Figaro du pied gauche.

     
     * La Petite Maison dans la Prairie : célèbre saga pré-apocalyptique déjantée mettant en scène une famille de paysans junkies, qui donnera les grands harmonistes Sid Vicious et Johnny Rotten à qui ce farceur de Haendel volera God Save the Queen, dont le titre original était Elle se Gode, la Queen. Comme quoi, on a les hommages qu'on mérite quand on est inculte.

     ** Je sais, ça fait bleu, blanc, rouge mais les rebelles de 1917 l'avaient remarqué avant moi et en plus il n'y a pas de fleur noire dans les champs.


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  • De Rouille et d'OsDe Rouille et d'Os De Rouille et d'Os

     

     En ce moment sur nos écrans, La Délicatesse est à la mode. Pour l'incarner, les cinéastes français font appel à des comédiens belges comme François Damien dans le film de Stéphane Foenkinos ou Matthias Schoenaerts dans De Rouille et d'Os, ce qui laisse songeur. Il semblerait que ces excellents acteurs soient victimes d'un a priori franchouillard. En effet, leur reste d'accent bourru empreint de rude franchise et de jovialité néo-rurale rendrait un peu moins ridicule cette qualité, plutôt associée, dans l'esprit d'une majorité d'avaleurs de pop-corn, à la féminité fragile et enfantine d'une Audrey Tautou atteinte de la maladie des os de verre qu'aux doigts puissants d'un mâle digne de ce nom.

      « Dieu que ce homme est machiste et réactionnaire, et qu'il doit donc lui-même souffrir d'un complexe d'infériorité pour proférer d'entrée de telles billevesées moyenâgeuses sur la nécessaire brutalité pour ne pas dire violence d'une virilité assumée », entends-je déjà glapir, du haut de mon ring et malgré le casque anti-choc, la horde des émasculatrices et -teurs professionnel(le)s qui hantent les salles obscures sises entre Saint-Germain-des-Prés et le Nord-Est du Marais de leur bien-pensance boboïste et malingre alors qu'un peu plus tôt, allongés sur leur couche avec un petit élastique là, elles sirotaient du thé vert Lung Ching d'Or à 500 €/kg tout en regardant s'étonner une dernière fois les enfants syriens à qui le mari de Assma el-Assad lance gaiement d'éclairants obus de 150, sans que personne ne lève le petit doigt parce que c'est impoli malgré les croyances populaires. D'abord la mousmé de Bachard boit aussi de ce thé-là, elle ne peut donc être entièrement mauvaise ou alors nous aussi.
     Et puis, répondrai-je sur le ton délicat qu'employait la Montespan en parlant de la marquise de Brinvilliers, n'était-il point temps qu'elle dégustasse d'autres tisanes que celles offertes par ce cher Vladimir ?

      Les tisanes justement, Ali, le héros pugiliste, en prend de sévères dans le dernier Jacques Audiard. Et il déguste aussi. Moins que Stéphanie, il est vrai,dont le jeu de jambes, au cours du film, ne cesse de s'affirmer comme l'avenir du noble art malgré une esthétique Heavy Metal regrettable dans cet ode à la subtilité.
     Ah ! Quelle bonne surprise, qu'après Un Prophète, le cinéaste ose quitter le terrain glauque de la violence, sur lequel roulent des chicots orphelins enveloppés de glaires sanguinolents, pour la tendre moiteur des amours simplifiées, la douce sensualité de lèvres ourlées d'un liséré brillant d'humidité, sans aucune trace de tuméfaction, s'ouvrant sur des perles de lait aguicheuses dont pas une ne manque.
     Quel bonheur que ce retour au romantisme classique où l'amour peut éclore comme une bombe parfumée après quelques péripéties finement acidulées, qui seules donnent toute leur valeur à l'imbrication procréatrice des membres de toutes tailles dont se trouvent encombrés les fornicateurs débutants qui n'ont pas encore vu Les Dents de la Mer.
     Des cadrages aussi serrés qu'une guêpière sur un Bibendum, des mouvements de caméra exécutés avec la fluidité d'un Noureev de la web-cam, des dialogues aussi raffinés qu'un poème de Mallarmé lu par Michel Simon, tout dans ce film n'est que finesse fraîcheur et joliesse.

      On regrette cependant que l'auteur ne puisse s'empêcher de faire une fois de plus référence à la dureté de son enfance passée sous la férule de Lino Ventura.
     Sam, le fils d'Ali ne cesse en effet de morfler. Nul autre mot pour exprimer ce qu'il doit endurer. A l'instar des futurs orphelins d'el-Assad, lui aussi boit la tasse mais c'est moins pour soigner des amygdales engorgées par l'âcre fumée des brasiers de Homs que pour tester si son accent picard le protège des gerçures et de la surgélation accélérée. Tel le héros de Le Havre, il s'accoquine avec un chien mais Audiard n'étant pas membre de l'IFA*, la ressemblance s'arrête là. Sam n'en retirera lui que puces, odeur pestilentielle et un mal de crâne dû à une rencontre impromptue avec un coin de table, sans parler d'une frustration et d'un apprentissage de l'injustice qui explique à lui seul la montée du FN dans les classes populaires.
     Le gamin souffre douleur est-il un miroir de la propre enfance du réalisateur ou de celle du personnage central de cette œuvre ? La question est moins intéressante qu'il n'y paraît tant elle est primitive. Aussi les maniaques de la projection Jungienne et du décorticage Freudien devront se référer à la page 47 du Charlie Hebdo du 31 juin pour connaître la réponse.
     C'est ce jour-là précisément que sera révélée la véritable identité de Jacques Audiard, qui prit ce pseudonyme par respect pour son père, célèbre tricoteur des années soixante, inventeur entre autres du Jacquard façon puzzle et de la maille en sapin, toujours à l'honneur de nos jours pour la confection de paletots sans manches.

     Préparez vos mouchoirs, à partir d'ici, ça devient grave et un peu ennuyeux.
     Les femmes dansent pour être admirées. Les hommes se battent pour être admirés. L'admiration est le moteur du monde. Enfin pour ceux qui ne se sont pas abandonnés. Avec le sexe et l'argent pour pallier la peur de ne pas être vu.
     Sacré bordel quand même !
     Au milieu duquel les gosses tentent de se hisser malgré les coups qui pleuvent et le béton, dans la tête des adultes, qu'il faudra bien crever pour voir le jour.
     Le vrai héros c'est Sam. Le seul qui aime sans peur ni détour. Sam, je suis Sam1.
     Bon courage, petit ! La vie est un assommoir, aller chercher les coups, un bon moyen d'y prendre plaisir. C'est léger comme bagage mais ça laisse beaucoup de liberté pour aimer les gamins. Tous. C'est cela, la délicatesse de Jacques Audiard. Ne dévoiler qu'avec pudeur sa tendresse pour les enfants délaissés. Le vrai métier d'homme. Comme Lino.
     Fin de la parenthèse larmoyante. Tout est dit pour une fois.

     Mais était-ce bien nécessaire ? La seule question qu'un athlète cinéphage aux pupilles sensibles doit se poser pour éviter le claquage neuro-sympathique aussi appelé Syndrome de Cannes est :
     Ce film mérite-t-il qu'on court le voir ? 

    Oui, répondront avec un enthousiasme teinté de regret les culs de jatte et les poliomyélites. Et l'on serait tenté de les suivre voire de les précéder dans cette voie. Cependant attention.
     Bérénice Béjo est étrangement absente de cette œuvre et la beauté des images en souffre cruellement. L'érotisme des scènes les plus torrides en pâtit, les petits poissons de Elli Medeiros s'étiolent entre des jambes trop courtes et moi-même j'hésite à prendre les miennes à mon cou pour noyer mon chagrin dans les eaux troubles du Caire.
     Dieu que cette femme nous manque (Dieu et moi ça fait deux, d'où le nous dépourvu de majesté), même en tronc d'église ou de présentatrice, en buste républicain ou en médaillon nostalgique, tant le sombre diamant de son regard exalte la lumière divine qui palpite au fond de chaque homme et que les perles de pluie les plus fines dont nos yeux soient capables n'attendent que son sourire pour se poser comme un diadème sur son front audacieux. 

     Courez voir ce film.
     Courez tout court en fait.
      Enfin à votre rythme.
     Enfin si vous pouvez.
     Courez dans votre tête avant que la rouille n'attaque l'os et que ne vous rattrapent les dents impitoyables du mot FIN. 

    Pégéo, Sous le Soleil de Satan puisque Juin est en deuil.


     
    *IFA : Internationale du Film Anticapitaliste, 
     cf. Querelles, Le Havre et Les Vieux Chats.
    1 Sam, Je suis Sam, de Jessie Nelson avec Sean Penn.
    Bouleversant, même pour les amputés du palpitant.

    Pour tous les autres films cités, voir la liste que je ferai sans doute lors de mon accès de rangement, vers l'an 2050.


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  • The day he arrivesThe Day He Arrives The day he arrives
    (Matins Calmes à Séoul)

     Le cinéma asiatique n'en finit plus de nous étonner. Avec The Day He Arrives, Hong Sang soo invente le film dyslexique. Non seulement il utilise un montage savamment hasardeux, qui range la notion de chronologie au rang des béquilles molles, mais il redouble d'imagination en le doublant d'un bégaiement scénaristique qui achève de plonger le spectateur dans une confusion narrative confinant à la perplexité.
     Pour les psychorigides résistants qui se seraient malgré tout construit une logique actancielle à travers l'enchaînement chaotique des séquences - qui semble avoir été tricoté par un diptère sous amphétamines fuyant la sodomie intellectuelle germano-pratine - le réalisateur tisse des dialogues époustouflants d'incompréhension qui n'auraient pas déplu à Jean Tardieu si celui-ci avait parlé le Coréen sans accent Suisse.
     En voici un extrait approximatif, quoique exemplaire dans son inexactitude-même, ce qui le rend particulièrement intéressant, voire jubilatoire dès la cinquième tasse de Makgeolli, signe qu'il est temps de respirer et de se resservir. 

    Deux hommes et une femme sont assis devant des bières dans un restaurant. La propriétaire rentre, couverte d'un manteau et portant des gants car elle ne joue pas du piano. (Il est très important de respecter l'ordre du dialogue et que les personnages se regardent tous avant de parler.)

     Prop. : Bonjour, vous avez bien fait.
    Homme 1 : Ce n'est pas grave, on n'a pas faim.
    Prop. : La porte était ouverte.
    Homme 2 : En fait elle ne sait pas jouer mais ça ne s'entend pas.
    Homme 1 : Je prendrais bien une bière pour changer.
    Femme : J'ai oublié comment on faisait pour rentrer.
    Prop. : Je n'ai rien à manger mais je peux préparer un apéritif.
    Homme 2 : Elle est exactement pareille !
    Homme 1 : C'est bizarre, il n'y avait personne avant vous.
    Femme : Ah bon ? C'est un restaurant coréen ?
    Homme 2 : Nous nous sommes servis. Le piano était silencieux.
    Prop. : J'étais partie faire des courses.
    Homme 1 : Inutile, j'ai encore de la bière.

     Sur ce, la femme disparaît du cadre et le piano rugit tandis que la propriétaire enlève ses gants pour sortir fumer. Les mâles ronronnent au chaud et l'on passe à la séquence précédente.

     On remarquera l'analogie en forme d'hommage avec une célèbre scène de Un air de famille, à la différence que dans le film français le juke-box était en panne.

     Malgré l'habituelle interrogation sur la complexité des rapports amoureux et la nécessité de se perdre pour se retrouver, destinée à rassurer les producteurs sur le classicisme de son cinéma, le réalisateur écrit ici un film très personnel sur les deux seuls sujets qui l'intéressent, Séoul et la physique subatomique.
     Ce dernier thème est d'ailleurs celui des deux le plus clairement abordé dans cette œuvre largement inspirée des meilleures blagues de Stephen Hawking, notamment celle du zoom qui s'arrête en plein élan par manque de profondeur de champ.

     Chacun sait que le temps n'est pas linéaire à cause de la courbure de l'espace. On répertorie onze dimensions, dont certaines repliées sur elles-mêmes à force d'introversion spectrale, et d'autres, sous forme de cordes, dont les vibrations, à l'approche d'un boson de Higgs recherchant désespérément Susan, produisent cette musique céleste, qui fait croire aux plus superstitieux que Dieu possède une âme en résonance parfaite avec le La 440, et aux mécréants anarchistes que le grand soir arrive avec toutefois un léger retard dû aux embouteillages causés par la manifestation des prêtres mariés entre la République et le Sacré-cœur.
     Cette explication toute scientifique du montage audacieux de Hong Sang-soo ne peut heureusement faire oublier l'envoûtante poésie nonchalante du film. Celle-ci nous entraine insidieusement dans un lâcher-prise bienfaisant, au bord du bâillement, sans lequel la mécanique quantique resterait choquante sans être pour autant compréhensible, ni ne deviendrait cette véritable réconciliation de l'homme, de la science et de la religion qui fit dire à Niels Bohr : « Honnêtement, je préfère Matrix au Livre de la Jungle. »

     L'autre thème sous-jacent du film est l'amour du réalisateur pour Séoul, qu'il décrit ainsi. « Séoul est une petite ville. Elle se visite à pied. Impossible de faire un pas sans rencontrer une vieille connaissance. C'est toujours la même personne, toujours au même endroit. Il y a quatre rues et un parc. Les trottoirs sont recouverts de neige chaque matin. Ainsi les flocons peuvent tomber sans se faire mal et vivent plus longtemps. C'est très important. Personne ne sait pourquoi. C'est ça qui est bien. »

     Tout est dit.
     A l'immensité de l'univers, aux méandres infinis de l'âme humaine, le cinéaste scientifique et poète végétarien oppose l'étroitesse ridicule de l'environnement socio-géographique à météo variable qui transforme la moindre velléité d'extraversion copulatrice, fut-elle onirique et hétérosexuelle, en une danse de Saint Guy pour mouche survitaminée piégée dans une sphère blanche. Celle-ci ne peut trouver d'exutoire que dans un rêve éveillé à répétitions transformatrices, telles les mutations aléatoires continuelles des gênes de toutes les espèces vivantes, aux côtés desquelles la pêche aux quarks de charme à l'aide du diptère pré-cité s'avère un agréable délassement pour bachelier attendant la retraite (pléonasme).

     « Il ne suffit pas de perdre la boule, encore faut-il savoir coucher les quilles », semble nous confier Hong Sang-soo avant de fondre sur son actrice favorite.
     Oui, heureusement pour les esthètes honteux, c'est aussi un grand amoureux qui aime partager la passion des femmes qui l'habite.
     Dans The Day He Arrives, les hommes sont laids et stupides, surtout les étudiants. On devine que le cinéaste a souffert à la puberté.
     Les femmes, par contre, y sont toutes d'une beauté saisissante. Leur fraîcheur enlace les hommes comme un tourbillon de lames glacées venant fouetter leur désir jaillissant, laissant leur œil marqué d'une brûlure enchanteresse, qui pousse le mâle perdu dans sa quête solitaire d'identité à courir nu sous la neige, la cigarette aux lèvres, dans l'espoir insensé que l'une d'elle vienne l'y rejoindre, une allumette en main.
     On songe, car hélas il ne nous reste d'autre alternative pour nous en rapprocher, à l'exquise Kim Bokyung. Sa fragilité sensuelle, ses jambes fuselées - presque aussi aguichantes que celles de Bérénice Béjo quand sa robe fendue les révèle, affolantes et sans fin dans leur écrin de soie, lors d'un Mambo endiablé trop brutalement suspendu - ses grands yeux en amandes faussement naïfs et réellement envoûtants, pour qui même Kim Jong-eun remiserait ses têtes nucléaires au rang des amuse-gueules phallocratiques périmés, donnent envie de se perdre, se noyer, s'abandonner à la dérive du temps et des sens, se laisser emporté par une foule de synapses anarchistes un jour de carnaval pour frôler, ne serait-ce qu'une seconde, l'incarnation paradisiaque que son sourire promet.

     Ne courez pas voir ce film.
     Allez-y le pas léger et le regard perdu dans le lointain de votre âme, là où les peurs et les rêves se confondent.

     Ne courez pas, ce serait trop dangereux dans les rues de Manille, de Paris ou Alger. Ce serait du gâchis que d'arriver trop vif pour se laisser porter sans résistance.
     A Séoul comme ailleurs, quand l'homme arrive sur Terre, pour la première ou la millionième fois, il est un instant le réceptacle unique du temps et de l'espace, de tous les temps et tous les univers, toutes les histoires, toutes les émotions, toutes les réalités et toutes les chimères, tous les espoirs, toutes les blessures. C'est insupportable de légèreté, d'immensité, de désorientation enivrante et de plénitude. Alors on se réveille, de peur de confondre la vie et la mort, et l'on tente d'être soi. Un trouble passager s'ensuit que la lumière disperse, brouillard délicat qui s'en retourne aux limbes.
     C'est cet instant, cette ivresse qui le suit, que Hong Sang-soo, peut-être, allez savoir avec les poètes, prolonge le temps d'un film.
     On s'y perd. On s'y laisse prendre.
     A chacun ses rêves.

     Pégéo, les yeux ouverts sur la mer.

     

     PS : Que ressent un fou de Bassan lors de son premier piqué vers le grand miroir ? Une question que le film élude alors que pourtant, il faut le faire.


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