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De Rouille et d'Os
En ce moment sur nos écrans, La Délicatesse est à la mode. Pour l'incarner, les cinéastes français font appel à des comédiens belges comme François Damien dans le film de Stéphane Foenkinos ou Matthias Schoenaerts dans De Rouille et d'Os, ce qui laisse songeur. Il semblerait que ces excellents acteurs soient victimes d'un a priori franchouillard. En effet, leur reste d'accent bourru empreint de rude franchise et de jovialité néo-rurale rendrait un peu moins ridicule cette qualité, plutôt associée, dans l'esprit d'une majorité d'avaleurs de pop-corn, à la féminité fragile et enfantine d'une Audrey Tautou atteinte de la maladie des os de verre qu'aux doigts puissants d'un mâle digne de ce nom.
« Dieu que ce homme est machiste et réactionnaire, et qu'il doit donc lui-même souffrir d'un complexe d'infériorité pour proférer d'entrée de telles billevesées moyenâgeuses sur la nécessaire brutalité pour ne pas dire violence d'une virilité assumée », entends-je déjà glapir, du haut de mon ring et malgré le casque anti-choc, la horde des émasculatrices et -teurs professionnel(le)s qui hantent les salles obscures sises entre Saint-Germain-des-Prés et le Nord-Est du Marais de leur bien-pensance boboïste et malingre alors qu'un peu plus tôt, allongés sur leur couche avec un petit élastique là, elles sirotaient du thé vert Lung Ching d'Or à 500 €/kg tout en regardant s'étonner une dernière fois les enfants syriens à qui le mari de Assma el-Assad lance gaiement d'éclairants obus de 150, sans que personne ne lève le petit doigt parce que c'est impoli malgré les croyances populaires. D'abord la mousmé de Bachard boit aussi de ce thé-là, elle ne peut donc être entièrement mauvaise ou alors nous aussi.
Et puis, répondrai-je sur le ton délicat qu'employait la Montespan en parlant de la marquise de Brinvilliers, n'était-il point temps qu'elle dégustasse d'autres tisanes que celles offertes par ce cher Vladimir ?Les tisanes justement, Ali, le héros pugiliste, en prend de sévères dans le dernier Jacques Audiard. Et il déguste aussi. Moins que Stéphanie, il est vrai,dont le jeu de jambes, au cours du film, ne cesse de s'affirmer comme l'avenir du noble art malgré une esthétique Heavy Metal regrettable dans cet ode à la subtilité.
Ah ! Quelle bonne surprise, qu'après Un Prophète, le cinéaste ose quitter le terrain glauque de la violence, sur lequel roulent des chicots orphelins enveloppés de glaires sanguinolents, pour la tendre moiteur des amours simplifiées, la douce sensualité de lèvres ourlées d'un liséré brillant d'humidité, sans aucune trace de tuméfaction, s'ouvrant sur des perles de lait aguicheuses dont pas une ne manque.
Quel bonheur que ce retour au romantisme classique où l'amour peut éclore comme une bombe parfumée après quelques péripéties finement acidulées, qui seules donnent toute leur valeur à l'imbrication procréatrice des membres de toutes tailles dont se trouvent encombrés les fornicateurs débutants qui n'ont pas encore vu Les Dents de la Mer.
Des cadrages aussi serrés qu'une guêpière sur un Bibendum, des mouvements de caméra exécutés avec la fluidité d'un Noureev de la web-cam, des dialogues aussi raffinés qu'un poème de Mallarmé lu par Michel Simon, tout dans ce film n'est que finesse fraîcheur et joliesse.On regrette cependant que l'auteur ne puisse s'empêcher de faire une fois de plus référence à la dureté de son enfance passée sous la férule de Lino Ventura.
Sam, le fils d'Ali ne cesse en effet de morfler. Nul autre mot pour exprimer ce qu'il doit endurer. A l'instar des futurs orphelins d'el-Assad, lui aussi boit la tasse mais c'est moins pour soigner des amygdales engorgées par l'âcre fumée des brasiers de Homs que pour tester si son accent picard le protège des gerçures et de la surgélation accélérée. Tel le héros de Le Havre, il s'accoquine avec un chien mais Audiard n'étant pas membre de l'IFA*, la ressemblance s'arrête là. Sam n'en retirera lui que puces, odeur pestilentielle et un mal de crâne dû à une rencontre impromptue avec un coin de table, sans parler d'une frustration et d'un apprentissage de l'injustice qui explique à lui seul la montée du FN dans les classes populaires.
Le gamin souffre douleur est-il un miroir de la propre enfance du réalisateur ou de celle du personnage central de cette œuvre ? La question est moins intéressante qu'il n'y paraît tant elle est primitive. Aussi les maniaques de la projection Jungienne et du décorticage Freudien devront se référer à la page 47 du Charlie Hebdo du 31 juin pour connaître la réponse.
C'est ce jour-là précisément que sera révélée la véritable identité de Jacques Audiard, qui prit ce pseudonyme par respect pour son père, célèbre tricoteur des années soixante, inventeur entre autres du Jacquard façon puzzle et de la maille en sapin, toujours à l'honneur de nos jours pour la confection de paletots sans manches.Préparez vos mouchoirs, à partir d'ici, ça devient grave et un peu ennuyeux.
Les femmes dansent pour être admirées. Les hommes se battent pour être admirés. L'admiration est le moteur du monde. Enfin pour ceux qui ne se sont pas abandonnés. Avec le sexe et l'argent pour pallier la peur de ne pas être vu.
Sacré bordel quand même !
Au milieu duquel les gosses tentent de se hisser malgré les coups qui pleuvent et le béton, dans la tête des adultes, qu'il faudra bien crever pour voir le jour.
Le vrai héros c'est Sam. Le seul qui aime sans peur ni détour. Sam, je suis Sam1.
Bon courage, petit ! La vie est un assommoir, aller chercher les coups, un bon moyen d'y prendre plaisir. C'est léger comme bagage mais ça laisse beaucoup de liberté pour aimer les gamins. Tous. C'est cela, la délicatesse de Jacques Audiard. Ne dévoiler qu'avec pudeur sa tendresse pour les enfants délaissés. Le vrai métier d'homme. Comme Lino.
Fin de la parenthèse larmoyante. Tout est dit pour une fois.Mais était-ce bien nécessaire ? La seule question qu'un athlète cinéphage aux pupilles sensibles doit se poser pour éviter le claquage neuro-sympathique aussi appelé Syndrome de Cannes est :
Ce film mérite-t-il qu'on court le voir ?Oui, répondront avec un enthousiasme teinté de regret les culs de jatte et les poliomyélites. Et l'on serait tenté de les suivre voire de les précéder dans cette voie. Cependant attention.
Bérénice Béjo est étrangement absente de cette œuvre et la beauté des images en souffre cruellement. L'érotisme des scènes les plus torrides en pâtit, les petits poissons de Elli Medeiros s'étiolent entre des jambes trop courtes et moi-même j'hésite à prendre les miennes à mon cou pour noyer mon chagrin dans les eaux troubles du Caire.
Dieu que cette femme nous manque (Dieu et moi ça fait deux, d'où le nous dépourvu de majesté), même en tronc d'église ou de présentatrice, en buste républicain ou en médaillon nostalgique, tant le sombre diamant de son regard exalte la lumière divine qui palpite au fond de chaque homme et que les perles de pluie les plus fines dont nos yeux soient capables n'attendent que son sourire pour se poser comme un diadème sur son front audacieux.Courez voir ce film.
Courez tout court en fait.
Enfin à votre rythme.
Enfin si vous pouvez.
Courez dans votre tête avant que la rouille n'attaque l'os et que ne vous rattrapent les dents impitoyables du mot FIN.Pégéo, Sous le Soleil de Satan puisque Juin est en deuil.
*IFA : Internationale du Film Anticapitaliste,
cf. Querelles, Le Havre et Les Vieux Chats.
1 Sam, Je suis Sam, de Jessie Nelson avec Sean Penn.
Bouleversant, même pour les amputés du palpitant.Pour tous les autres films cités, voir la liste que je ferai sans doute lors de mon accès de rangement, vers l'an 2050.
Tags : de rouille et d os, audiard, schoenaerts, cotillard, sam, ali, stéphanie
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