• Dans la Maison

    Dans la Maison  Dans la Maison

      C'est un film sur un adolescent qui écrit un livre sur ce qui se passe dans le film tandis qu'un professeur lui apprend à écrire ce qui se passe la maison, c'est à dire dans le film.

       Vu sous c'est angle, c'est ennuyeux.

      Aussi le cinéaste multiplie-t-il les mouvements de caméra et joue professionnellement avec les nombreux miroirs de la maison pour changer d'angle sans rajouter de suspense ni dépasser le niveau d'exaltation que provoque chez la ménagère de moins de cinquante ans la lecture d'un catalogue d'art moderne écrit par un communicant biélorusse.

      Il est vrai que ce n'est pas moindre des qualités de François Ozon, que de distiller l'ennui avec la subtilité d'un bouilleur de cru écossais, afin de mettre en valeur les répliques incisives de Fabrice Luchini, qui sont autant de gifles revigorantes jetées avec désinvolture et précision à la figure morne et téléravagée du spectateur de la classe moyenne, ravi de reconnaître son inculture et sa capacité d'apprentissage, sans être directement humilié. A cet effet le réalisateur précautionneux a spécialement prévu un comédien sur lequel chacun pourra projeter ses frustrations, ses hontes, sa mesquinerie et tout ce dont il est peu fier, un artifice psychothérapeutique indispensable pour dépasser les bornes de son savoir et s'ouvrir à la connaissance en toute humilité. C'est une agréable délicatesse envers un public peu enclin à admettre spontanément ses limites.

      Car Ozon est un pédagogue. Il sait que l'art d'enseigner passe non pas par la répétition (les apprenants sont rarement sourds et si c'est le cas, mieux vaut leur écrire) mais par la diversification des formes de transmission.
      Ainsi n'hésite-t-il pas à faire lire par une voix off un descriptif de l'action en cours, allant même jusqu'à faire entrer le narrateur dans l'image, au sein des protagonistes qui semblent ignorer sa présence, dans une subtile allégorie de la nécessaire projection du lecteur ou du spectateur à l'intérieur du récit pour une parfaite assimilation du message.
      Ceci est véritablement utile non seulement aux mal-comprenants universitaires qui forment le gros du public (qui est gros ?*) mais aussi aux mal-voyants qui pourront suivre sans peine l'action. On regrette l'absence de sous-titrages pour les mal-entendants mais il y a des audaces pour lesquelles la société n'est pas encore mûre.

      L'exercice est, il est vrai, délicat et ce ne sont pas les professeurs de français, confondus d'étonnement devant la créativité orthographique par laquelle les lycéens compensent leur manque d'imagination narrative selon un rapport officiel de la cour de récréation, qui me contrediront. Aussi le réalisateur ne ménage-t-il pas sa peine dans sa tentative d'explication des ressorts de base d'une bonne narration, écrite ou sur grand écran. Il filme avec hardiesse l'élaboration en temps réel d'un dessin illustrant le discours du professeur en train de présenter la construction du film qui va, dans les secondes qui suivent, suivre le cours exact de ce qui vient d'être prédit. C'est fou ! Sacrifier ainsi le suspense au profit de la pédagogie est une véritable preuve d'abnégation de la part d'un cinéaste dont on connaît et apprécie le goût pour la chute inattendue depuis 8 Femmes ou Swimming Pool.

      Selon David Lodge dans L'art de la Fiction1, « toute fiction raconte le passage de l'innocence à l'expérience ». C'est en gros le synopsis du film.
      Tout est dit.

      Aussi attardons-nous sur les acteurs, qui font tout le charme de cette œuvre, ou plutôt sur les actrices, c'est plus moelleux. 
      Emmanuelle Seigner a beau porter « le parfum si particulier de la femme de la classe moyenne » et les vêtements approximatifs qui vont avec, sa douceur et sa générosité ont de quoi troubler plus d'un adolescent et concurrencer les attraits qu'a, pour la majorité des mâles occidentaux une pizza froide devant un match de basket télévisé. Ce n'est pas rien.
     
    Kristin Scott ,Thomas est de plus en plus renversante de séduction naturelle, alliant la finesse d'humour d'une aristocrate anglaise quand le champagne lui monte à la tête, au regard alangui d'une star italienne amoureuse à l'heure où le soleil se couche sur les plages surchauffées de Capri, et à la voix envoûtante d'une chanteuse de jazz faisant swinguer la musicalité si particulière de la langue française quand celle-ci est écrite avec amour.
      Ce qui est le cas.
      Les dialogues sont ciselés avec une précision qui confère au subjonctif le plus imparfait la fluidité d'une chanson populaire. Les envolées didactiques flamboyantes y deviennent d'une simplicité limpide, comme si un génial tailleur de pierre avait pu associer la fulgurance du gothique à la pureté de l'art roman. C'est sans doute exagéré et absurde comme comparaison mais c'est trop rare en cette période de disette littéraire pour bouder notre plaisir linguistique car, comme le faisait remarquer, à la sortie du cinéma, une étudiante en lettres modernes au boutonneux enamouré qui l'accompagnait : cette langue, c'est trop top ! Elle avait visiblement, au cours de la séance, fait l'expérience qui renverse l'innocence.

      Ce film étant commercialisé sous l'étiquette thriller, les parents responsables se demanderont à juste titre s'il fait peur et si les enfants normaux de la présidence normale peuvent normalement le visionner sans être anormalement perturbés, c'est à dire préférer soudainement les haricots verts aux frites et Flaubert aux mangas japonaises.
     
    Les premiers résultats de l'étude clinique menée par les carabins de l'Université René Descartes à l'UGC Danton où ils passent leurs soirées donnent les résultats suivants.

      Les cancres peuvent s'aventurer sans risque de contagion excessive au plus près de cette œuvre. La contamination par les lettres nécessite un minimum d'agitation neuronale que l'état de para-somnolence chronique de ces individus ou la proximité d'un radiateur suffit à bloquer.
     
    Les fayots du premier rang, plongés dans une vaine tentative de décryptage des installations porno-politico-satiriques de la galerie d'art tenue par Kristin Scott Thomas seront eux aussi exempts de séquelles mesurables, tant la poésie requiert une sensibilité incompatible avec l'hypertrophie du cortex latéral droit caractéristique des chouchous.
     
    Le gros de la troupe (qui est gros?*), situé entre ces deux extrêmes, sera sans doute choqué et potentiellement sujet à des accès de Prousterie aiguë ou de Racinite Alexandrine dans les semaines suivantes, mais la résilience dont cette majorité a toujours fait preuve face à l'intellectualisme rampant au cours des siècles, et qui est la seule explication valable à la survie de l'espèce humaine et à son degré actuel de développement non-violent, cette résilience, donc, lui permettra de passer le cap sans d'autres conséquences que les habituels boutons d'acné, un dégoût passager du coca et du portable pouvant faire croire à une anorexie consumériste qu'une cure de TF1 résorbera rapidement, et dans les cas les plus graves, le port abusif d'un T-shirt « I love Céline » made in China, qu'un simple tour de lave-linge réduira à des ambitions plus réalistes sous la forme d'un bandana « I love machine », compréhensible par tous.

      Aucun danger, donc, les parents peuvent rester sereins même si ce ne sont pas des aigles**, nul ne frémira dans ses chaussettes, nul synapse ne sera frappé de stupeur et toutes les familles de la classe moyenne finiront à la pizzeria du coin, sans craindre que ne pénètre Dans leur Maison une ombre imaginaire ou même un nombre imaginaire qui, scrutant leur vie sans honte les manipulera cyniquement dans le seul but d'en tirer un livre ou un film ou …
     
    Tiens, ça me fait penser à autre film avec Luchini, La Discrète, dans lequel un éditeur manipule un romancier peu talentueux pour etc. C'est fou.

    Courez voir ce film si vous aimez vous faire chatouiller les oreilles par une langue inhabituelle.
    Courez le voir si vous croyez encore à l'innocence des enfants.
    Courez le voir si la peur vous fait rire ou si le rire ne vous fait pas peur.
    Mais dans tous les cas, n'oubliez pas de lire, c'est le seul antidote à l'absence.

    Pégéo, un soir où la pluie était plus triste que la nuit.

    *Obélix parodiant Gérard Depardieu pour faire rire les enfants. Ça marche à tous les coups. 

    ** Mon inspiration file au vent mauvais quand l'automne sonne à la porte de l'hiver et que le jour ressemble de plus en plus à la nuit, alors je cite Pierre Desproges pour éviter de croire en Dieu sur un coup de tête ou de vendre mon âme au diable sur un coup de Beaujolais et aussi pour faire mon intéressant. Redde Caesari quae sunt Desprogibis.

    1. David Lodge, L'Art de la Fiction, Rivages, Paris, 1996 pour l'édition française. Remplace avantageusement et à peu de frais plusieurs professeurs de français avec en plus une pointe d'humour anglais catholique (une rareté !) qui donne l'impression que c'est le lecteur qui est intelligent.

     

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