• Cherchez Hortense

    Cherchez HortenseCherchez HortenseCherchez Hortense

     

    Dieu, mais que Marianne était jolie, quand elle avait les traits de Brigitte Bardot et chantait Liberté, Joie de vivre et Générosité. C'était sans doute un leurre mais il avait de la gueule.
     
    Aujourd'hui, elle s'appelle Hortense et a le sourire carnassier d'un vieillard jaloux de ses privilèges, qui siffle Internement, Dépression et Rapacité dans les salons chargés d'ors et de tableaux aristocratiques des palais de la République inaccessibles aux citoyens, que hantent les nouveaux Fouquet, les anciens Talleyrand et les éternels saigneurs d'une démocratie d'illusions dont le peuple adule les people comme les serfs vénéraient « Not' Bon Maître » avant que Marianne ne s'en mêle justement. C'est toujours le même leurre, le sex-appeal en moins.
     
    Présenté comme ça, c'est triste. Depuis que les bouffons ont remplacés les rois, on ne peut plus couper des têtes sans passer pour un pisse-froid dénué d'humour et le peuple s'ennuie.

    Comment donc s'amuser des puissants tout en gardant les mains propres et son droit au logement dans les quartiers huppés de la capitale ?
     
    C'est ce que tente de faire Pascal Bonitzer dans Cherchez Hortense, dernier volet de la trilogie bien-pensante de l'IFA* entamée avec Le Havre et Les Invités de mon Père au sujet de ce concours d'élégance que se livrent la gauche et la droite dans l'art de refouler les sans-papiers. La tache est ardue car si les élites prêtent à rire, c'est au taux de l'usure et les producteurs renâclent à de telles aventures.

    Heureusement, Œdipe et Cupidon, les deux auxiliaires préférés du Grand Pervers, sont toujours disponibles pour mettre un peu d'animation dans le quotidien ronronnant des quadragénaires hésitant entre finir leur crise d'adolescence et parier sur la météo de leur premier jour de retraite.
     
    L'orgueil du mâle et la fierté virile n'étant plus des ressorts avouables, condamnés qu'ils sont par les psychologues de Biba et les vendeurs de cosmétiques masculins, seuls l'amour d'une femme et la haine du père sauront faire sortir Damien de sa coquille et le forcer à grandir, grâce à un engagement libre et généreux dont l'exemplarité est telle qu'on se demande pourquoi les héros sont toujours aussi rares. Oui, pourquoi au fait ?
     
    Parce que, comme le démontre Pascal Bonitzer dans cette œuvre un peu moins haletante qu'une octogénaire asthmatique lorsqu'elle aborde le cinquième palier les jours de panne d’ascenseur, ce n'est pas la volonté qui fait le héros, c'est le hasard.
     
    Pour réussir dans cette voie, il faut une bonne dose d'inadvertance voire même d'aveuglement et Damien, spécialiste des chinoiseries incompréhensibles pour le cartésien moyen, n'en manque pas.
     
    Certes, avoir une relation tendue avec un père haut-fonctionnaire, être coincé entre une femme en partance et un fils qui, lui, se rebelle avant d'avoir une calvitie, et fréquenter des loosers intellos dépenaillés, ça aide à combattre l'illusion qu'un volontarisme forcené est la clé de la réussite.
     
    Mais découvrir à 40 ans que le dit père est homosexuel, c'est plonger tout droit au cœur du conflit Sartre vs Freud et douter de sa raison d'être, en tant que fils, que père et qu'esprit sain, un coup, pour un orientaliste de la rive gauche, à préférer le saké au Zen, changer d'idiome et s'enflammer pour une Serbe pétillante de rêves altruistes et de désir d'amour, les seuls luxes abordables quand on est démuni.

    Tout est dit.
     
    C'est donc par inadvertance que Damien - alias Jean-Pierre Bacri, le front le plus ridé de sa génération - qui  séduira Aurore, tuera le grand homme, quittera sa femme et ses amis. C'est par inadvertance qu'il endossera le costume élimé, la barbe de trois jours et le regard atone du héros solitaire, méconnu et un peu pathétique que le cinéma français aime à promouvoir par pur antiaméricanisme primaire.
     
    C'est sans le vouloir qu'il atteindra ce sommet de l'évolution qu'est le citadin équilibré et discrètement anarchiste, que tous les parisiens rêvent de devenir chaque fois qu'ils aperçoivent des visages grimaçants les narguant du haut de la passerelle reliant le Conseil d'Etat à la Comédie Française, sans pouvoir distinguer qui du saltimbanque ou de l’énarque est le plus absurde. 

    Mais Cherchez Hortense n'est pas qu'une comédie romantique doublée d'une drame œdipien. C'est aussi un film engagé qui dit tout haut ce que les français évitent de penser tout bas car chez ces gens-là, on ne pense pas, madame, on ne pense pas, on digère.

     C'est un film courageux, qui aborde les vrais problèmes de la France, patrie non pas des Droits de l'Homme mais de l’Existentialisme, cet humanisme post-résistant, suite logique du Je-pense-donc-je-suis et précurseur de l'angoisse subséquente qui assaille les téléspectateurs et les internautes lorsque, l'écran éteint, ils mesurent l'éternité qui s'est écoulée depuis la dernière connexion consciente de leurs neurones, au point de douter de leur existence et de l'utilité de se brosser des dents devenues inutiles à force d'avaler de la bouillie et des couleuvres aux couleurs de Danone ou de Coca-Cola.

     Le vrai problème, dénoncé par l'auteur avec une audace dont on ne croyait capables que les sous-préfets à la retraite, ce n'est pas le traitement scandaleux des sans-papiers, la main mise de l'aristocratie administrative sur le pouvoir, ou la transformation des librairies désertées par une jeunesse texto-isée en lieux de rencontres amoureuses. Non, c'est la tendance renforcée des français à se gratter l'occiput à la recherche des poux du grand-père et à se demander, au comptoir des Trois Faisans, si l'existence précède l'essence, alors que la misère qui a déjà boulotté les banlieues se rapproche dangereusement de la Madeleine et qu'il faudrait se bouger un peu si l'on veut sauver Fauchon. Pour Hédiard c'est trop tard, le Qatar s'en empare.

     Révoltez-vous ! semble chuchoter l'auteur de peur que son fils ne l'entende. Affrontez la réalité, la police, vos angoisses existentielles et pourquoi pas les chauffeurs de taxi parisiens, qui sont à la fraternité ce que les diatribes d'Eric Zemour sont à l'intelligence : un faire-part de décès.
     
    Réveillez-vous, épousez une cause noble et une jolie femme ! Isabelle Carré par exemple, qui fait très bien la Serbe aux yeux malicieux, aux pommettes craquantes et au sourire assez fougueux pour convertir un technocrate de l'Intérieur aux joies des débauches apatrides.
     
    Devenez un héros, même discret. Surtout discret, ça vous évitera de passer sur M6 à l'heure où, dans les étables bien rangées, les écrans s'illuminent du sourire ébahi des adorateurs du néant.

     Si vous croyez encore que les convenances sont une alternative possible au bonheur courez voir ce film, il ne vous apprendra rien mais vous donnera bonne conscience pour quelques euros.
     
    Si vous aimez la nourriture japonaise et d'une manière générale les bidules mous et tièdes qui ne caleraient pas la dent creuse d'un Chihuahua, courez voir ce film, il vous fera revenir à une conception plus saine et plus franchouillarde de la gastronomie.
     
    Si vous êtes de gauche, soyez prêts à perdre vos illusions et si vous êtes de droite à pleurer sur l'inutilité de vos convictions. Les centristes continueront à sourire dans leur coin, ce qui est un paradoxe mais c'est leur fond de commerce.
     
    Les abstentionnistes patentés pourront quant à eux rire aux répliques incongrues de Claude Rich, ce qui est une manière élégante de ne pas prendre parti tout en prenant son pied.

     Pégéo, un jour où les Roms avaient morflés en silence
    un peu partout en France.

     * Internationale du Film Anticapitaliste. Voir Le Havre, El Chino, Bullhead et Querelles.

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