• Paulette

    PaulettePaulette
     
    de Jérôme Enrico

    Les vieux ont de l'avenir, et pas seulement dans le compost universel. Au cinéma aussi.
     
    Après Tatie Danielle, Les Vieux Chats et Amour, voici le dernier opus des productions gérontophiles, qui remplacent désormais les tartufesques accolades d'un ex-président dans les maisons de retraite pour nous rappeler de rendre visite à Mémé avant que l'huissier ne s'empare de ses bijoux.
     
    Paulette, sorte de Carmen Cru* des HLM aigrie et  venimeuse, promène sa déchéance enrobée de lainages élimés entre les murs de béton artistement tagués d'une de ces cités qui embellissent de leur orgueilleuse décadence les abords délaissés des grandes villes transformées en mouroirs touristiques.
     
    Aussi pingre qu'acariâtre, elle n'hésite pas à dépouiller de plus affamées qu'elle des appétissants rebuts, que de compatissants maraîchers jettent en pâture aux indigents titulaires de la carte vermeille. C'est dire la méchanceté de cette femme, catholique pratiquante et raciste (il n' y a pas de pléonasme, c'est compatible sans être obligatoire), qui n'a même pas la dignité nécessaire pour s'éteindre en silence ou du moins placer son minimum vieillesse sur un plan épargne obsèques. C'est une honte, malheureusement représentative du comportement égoïste de la génération actuelle du troisième âge, trop habituée à l'assistanat depuis que De Gaulle a laissé la chienlit recouvrir le pays pendant qu'il soignait ses rhumatismes à Baden-Baden.

    Heureusement, quelques d'jeuns, issus des écoles de commerces mises en place dans les ZEP pour sécuriser les cages d'escalier, volent au secours de son âme décatie et lui redonnent le goût de la vie, de l'amour de son prochain, du respect pour l'enfance métissée, ainsi qu'une certaine dignité empreinte de modernité teintée d'une attirance obsolète pour la Suze, en la soutenant vigoureusement dans ses efforts de réinsertion.

    Ah, la fable généreuse sur la solidarité intergénérationnelle !
     
    Dieu qu'il est bon de voir ces enfants des barres de béton et des barrettes de chit polir affectueusement la face de la vieille dans un rude apprentissage pédagogique sur la réalité de l'exercice de la libre concurrence en milieu hostile !
     
    Qu'il est rafraîchissant de constater que l'appât du gain n'est pas la seule motivation de ces adorateurs de jeux en ligne : la peur, la fierté mal placée, la haine, l'addiction aux drogues et le machisme intégriste sont aussi de puissants ressorts émotionnels, trop souvent négligés dans le décodage du fragile équilibre psychologique de ces facétieux garnements.
     
    Qu'il est attendrissant de voir grands-mères et petits enfants se retrouver autour d'un projet de développement économique commun, mutualisant leurs compétences dans une mise en œuvre radicale des lois du marché au bénéfice des junkies avachis et des retraités délabrés.

    Qu'importe que cette économie soit parallèle, l'important est que les vieux s'amusent et que les jeunes soient occupés. Et si, saisissant sa chance, l'ancêtre sait chauffer ce chaud chichon en chaussons si sensuels sans suer sous ses chiffons, c'est parce que le marché existe et on aurait bien tort de le laisser à ces sales étrangers qui, depuis toujours, ne font rien qu'à venir étrangler nos fils et nos compagnes au lieu, comme il se doit chez les honnêtes gens, d'abreuver nos sillons de leur sang impur. (Rouget de l'Isle révèle ici sa vocation frustrée de gynéco et personne ne dit rien, mais le monde entier se marre dès que résonne La Marseillaise, ce qui est heureusement assez rare, grâce soit rendue à nos athlètes pour leur pudique abnégation et leur vocation de seconds).

    Malheureusement ce film de propagande néo-libéral, plutôt rafraîchissant au milieu de la production de masse gauchisante qui envahit les écrans depuis quelques années sous l'impulsion de l'IFA**, tourne subitement à la farce pâtissière et à la comédie romantique, dès que la Mamie dealeuse s'émancipe et vole de succès en succès tout en se découvrant une soudaine et peu crédible tendresse pour son entourage. Comme si l'argent rendait aimable et généreux ! Comme si c'était une solution à la cupidité ! Comme si seuls les pauvres hésitaient à dépenser de l'argent.

    Tout est dit.
     
    On croyait avoir affaire à une revigorante remise en question de l'habituel discours compassionnel et laxiste sur la dure vie de ces pauvres vieux, leur fragilité revendiquée comme une preuve d'innocence, leur abandon, leur isolement, leur effondrement physique programmé précurseur d'une déchéance sociale insoutenable et autres clichés issus de l'accouplement contre-nature de dames patronnesses angéliques avec des bolchéviks larmoyants, et voilà qu'on découvre un remake, à peine épicé de quelques kilos de haschisch, de La Cuisine au Beurre avec les Mémés Tubbies en héroïnes mal raffinées.

    Certes, Bernadette Lafont a toujours une sacrée droite et une voix assez chaude pour faire fondre une tablette de chocolat marocain d'un claquement de langue, mais où est passé le message d'espoir pour les grabataires séniles - celui de retrouver la dignité par le travail - qui est à l'origine de cette parabole libérale ?
     
    Qu'est devenu l'enthousiasmant « Travailler plus pour gagner plus » qui, malgré le sulfureux parfum de cannabis qui s'échappe des permanentes matriarcales, donnait tout sa force didactique et entrepreneuriale à cette œuvre de saine propagande ?
     
    Il disparaît hélas à mi-parcours pour faire place à une incroyable gentillesse générale, exception faite d'un mafieux russe fan de Jo Dassin. Ces gens-là connaissent d'incroyables tortures.

    On se doute que le réalisateur, se soumettant à la veulerie bien-pensante de l'époque et à la joviale influence paternelle, a mis du foin dans son herbe afin que son film satisfasse aux standards bien-pensants des années Hollande, patrie des coffee-shops. Le spectateur libéral antifasciste peut en ressortir un peu déçu par tant de mièvrerie, mais s'il sait s’esbaudir de quelques clichés bien présentés et s'esclaffer sans honte des réparties cinglantes que crachent les Mémés tape-durs en s'accrochant à leurs dentiers, il pourrait ressortir de la salle obscure le cœur plus enjoué et l'esprit plus large qu'à la fin d'une convention du Medef ou d'une réunion de l'Opus Dei.

     Courez voir ce film si vous cherchez à arrondir votre minimum vieillesse tout en rencontrant du monde, ça vous donnera des idées d'évasion.
     
    Courez voir Paulette si votre grand-mère vous amidonne les neurones avec sa rigidité morale et vous aigrit l’œsophage son pain d'épice en guise de spice-cake : vous découvrirez que ça n'est pas irrémédiable.
     
    Courez goûter l'humour dérisoire des détresses véritables, ça ne changera rien à la misère des vieillards croupissant d'angoisse et d'ennui au fond de leurs deux pièces sonores du cinquième avec ascenseur en panne, mais vous en aurez ri au moins une fois avant que ça vous tombe dessus.

      

    Pégéo un soir de chandeleur
    où les crêpes avaient un drôle de goût.

     

     * Carmen Cru : La méchanceté des vieux incarnée en de magnifiques planches en noir et sombre dans une BD de Lelong qui était à elle seule une raison de chiper Fluide Glacial au libraire.

     ** IFA : Internationale du Film Anticapitaliste. Association de cinéastes malfaisants particulièrement active en 2012. cf. Le Havre, Querelles, Bullhead, Cherchez Hortense et d'autres.

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