• Alceste à Bicyclette

    Alceste à BicycletteAlceste à Bicyclette
       
    de Philippe Le Guay

     

    Tout le monde connaît Alceste. C'est le phasme apprivoisé qui honore régulièrement ces critiques de son élégante présence.
     
    Eh bien l'infâme Luchini s'en est fait faire un film à sa propre gloire ! Dans une mise en abîme à double détente qui ressemble fort à un gouffre vertigineux d'égomanie papillonnante, il s'interprète lui-même faisant semblant de vouloir jouer le Misanthrope.
     
    Ah, le misérable gredin ! Gringalet renfrogné, glapissant de grincheux gargouillis dans un galimatias grasseyant et grivois de ganache globuleuse !
     
    Certes, Alceste gronde, grommelle et grogne avec grotesque contre les grossièretés grouillantes, que de grimaçants groupuscules graillonnent comme des gramophones grinçants dans des gargotes sans gloire où gloussent des gigolos gangrenés qui se prennent pour des grands et ne sont que des gnomes. Mais il le fait avec élégance, panache, une verve acariâtre, et sans lésiner sur les douze pieds classiques qui martyrisèrent nos oreilles collégiennes avant que les rappeurs ne les achèvent de leurs rimaillements pleurnichards scandés avec une puissance sonore et une conviction forcenée inversement proportionnelle à leur talent.

     Quand le Misanthrope se déchaîne, c'est irritant mais c'est salutaire. Sa mine chagrine ornée d'une chevelure grisâtre est un gage de sincérité qu'on admire.
     
    Alors pourquoi, diantre, le facétieux Fabrice ne se départit-il point de son éternel soupçon de perversité malicieuse, cachée sous un sourire narquois sans cesse frémissant, grâce auquel il essaye de faire passer pour de saillantes pointes d'esprit les plus plates billevesées et les poncifs les plus éculés sur le théâtre ?
     
    Parce que c'est un malin. Le sémillant trublion sait qu'il est trop sautillant pour pouvoir jamais jouer le Misanthrope avec toute la rugosité que réclame le rôle.
      
    Il joue à faire semblant de vouloir s'y coller
      
    Pour agacer le monde, tout en étant filmé
      
    Et se voir en Alceste sans jamais y toucher,
      
    Fuyant la vérité qu'il ne veut exposer.

     Bref il fait son Misanthrope en étant l'anti Alceste parfait.
      
    C'est honteux ! C'est drôle mais c'est honteux. Et bas. C'est humain. Certes.
      
    Mais je hais cet aspect de la nature humaine
      
    Et je conçois pour lui une effroyable haine.

    De quoi parle ce film ?
      
    Tout le monde connaît le Misanthrope aussi se doute-t-on que l'intérêt de cette œuvre est ailleurs.
      
    Le titre semble être un premier indice. Si Alceste n'est pas le véritable sujet, c'est donc la bicyclette l'héroïne. On y est presque. Pour décrypter la profondeur psychologique de la démarche du réalisateur, qui n'hésite pourtant pas à nous asséner le A bicyclette chanté par Montant et mettre ainsi en exergue une Paulette absente du scénario mais pas des écrans actuels sous la houlette d'un producteur ami (ça c'est du placement de produit !), il suffit de se remémorer ces vers à pieds chancelants que déclament à la Bastille, lors des hivers trop doux, les consommateurs de culture nostalgiques d'Avignon, tandis que les néo-vendéens se languissent des embruns tropicaux qu'apporte aux temps chauds le vent du large sur les côtes océanes :
      
    Ça se passe sur l’Île de Ré, refuge des bobos,
      
    Qu'on fait à bicyclette, du moins quand il fait beau,
      
    Télérama en poche et Molière à la main.
      
    Car cette île n'est plus faite pour les marins,
      
    Ni les cultivateurs, ni même les sauniers.
      
    Elle n'est plus qu'une réserve pour citadins stressés.
     

    Ah, les alexandrins, quelle élégante tournure !
      
    La moindre baliverne y prend une fière allure.

     Bon. Mais alors, de quoi parle ce film ?
      
    Et si le sol de Ré était le vrai sujet ?
      
    L'île, ou plutôt le phénomène îlien ? Ce lieu si propice à la promiscuité forcée que régulent les marées, aux rencontres étranges, aux amitiés recluses, aux amours silencieuses et aux huis-clos saignants, qu'abritent des bâtisses aux prix exorbitants malgré l'humidité, le sel qui ronge les murs, les orages qui engorgent les fosses septiques et le vent qui rabat les effluves de guano dans les patios secrets où les antiques lavoirs servent de jacuzzi comme dans les magazines ? L'île, le plateau de théâtre idéal, d'où ne nul ne peut s'échapper, forçant les personnages à jouer ou mourir.
      
    Mais Ré n'est plus une île depuis qu'un drôle pont
      
    La péninsularise des ses arches de béton.

     Mais quel est donc le sujet de ce film,à la fin ?
      
    Luchini, bien sûr ! C'est écrit dans le titre. Puisque c'est lui Alceste ! Le seul, le vrai, l'atrabilaire séduisant, le cynique souriant, l'aigri condescendant au regard de clown enfantin et pervers. 

    Tout est dit.
      
    Certes, Lambert Wilson en  beau gosse lourdaud à la sensualité animale, héros d'une série télé aussi nunuche qu'une interview de Mireille Mathieu visitant une maison de retraite, est plus qu'un faire-valoir. Et la relation hypocrite à base de manipulation teintée d'admiration jalouse et d'ambiguïté masculine qu'ils exercent l'un sur l'autre frôle par instant l'élégant ballet de séduction des grèbes huppés pratiquant la nage synchronisée. Certes l'apparition fugace et honteusement couverte d'une jeune actrice porno de bonne famille, dont les lèvres assassines font oublier la diction criminelle, attise brièvement l'intérêt du spectateur à la lippe humide pour un renouveau moins littéraire et plus organique du cinéma français.
      
    Mais il n'en reste pas moins que ce film est une auto-glorification du professeur de diction et juge des belles lettres qu'est cet adepte de la logorrhée télévisée impérieuse à destination des masses populaires, qui prennent encore Céline pour un écrivain hanté par la déchéance et l'ignominie des hommes, alors que c'est seulement le prénom d'une chanteuse québécoise hantée par son tour de hanches et l'anémie de son homme. (Ceux-là mêmes qui croient que le dodécasyllabe est un alexandrin alors que c'est la pendule qui sonne l'heure du casse-croûte). 

    Ça pourrait être pédant et pourtant c'est léger.
      
    Alceste est détestable et Fabrice est affable.
      
    Quand l'un se met à table, l'autre récite des fables.

     C'est donc à un véritable tour de force théâtral, chargé d'ambiguïté au sens baroque du terme, que se livre le facétieux comédien, qui réussit à incarner à la fois, et sans frémir des oreilles, Alceste dans son hautain et sain mépris de l'espèce humaine, et son exact contraire empreint de séduisante duplicité.
      
    Quel brio, quelle intelligence, quelle ardeur comique !
      
    Alceste, le vrai, le mien, a ri à s'en décrocher les pattes médianes. C'est dire.

     Courez voir ce bijou de précision, judicieusement rythmé de bienfaisants gags bon-enfants que n'aurait pas reniés Fernandel.
      
    Courez voir ce film si vous avez dormi en classe, bercés par les rimes tatillonnes qu'ânonnait sans joie un prof syndiqué et aimeriez goûter enfin un peu de la légèreté réelle du vers français classique.
      
    Courez rire, sourire et oublier ces instants sans prétention aucune, juste parce que c'est bon.

     Pégéo, un jour d'anormale bienveillance.

     

     

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