• Deux jours, une nuit

     

    Deux jours, une nuitDeux jours une nuit
    de Jean-Pierre et Luc Dardenne

     Enfin un film qui remet les choses dans l'ordre ou plutôt de l'ordre dans les choses ! Chacun sa place et sus aux chinois, comme on disait dans les claques d'Indochine. Les chômeurs au chômage, les désespérés au fond du trou, les travailleurs à la chaîne - travaillant plus pour perdre moins - et les patrons, contremaîtres et autres piliers de la stabilité sociale aux commandes du troupeau des quémandeurs d'emploi, de salaire, de primes, de prestations sociales et autres dividendes éhontés de leur sueur surévaluée en dépit de leur manque total d'esprit d'entreprise.

     Enfin un conte moral et éducatif qui aborde sans préjugé moralisateur les arbitrages douloureux qui sont le lot quotidien des chefs d'entreprise soucieux de choyer leurs employés assoiffés de technologie aliénante, de congés payés au rabais dans les paradis esclavagistes (parce que c'est tellement bon d'être un bourreau une fois par an), tout en réclamant des augmentations indécentes et conspuant la concurrence déloyale des prolétaires plus mal-lotis qu'eux, grâce auxquels ils téléphonent sans limite et sans fil pour le prix d'une place de théâtre, où ils ne vont jamais d'ailleurs.

     Par Saint Gataz, patron des patrons de père en fils ! Que ce film est jubilatoire à qui sait apprécier les contradictions dans lesquelles aime à se vautrer la plèbe au point d'étancher sa soif d'injustice dans la consommation dominicale, obligeant les plus pauvres d'entre eux à se damner au travail au lieu de prendre soin de leur âme par l'adoration soumise de la torture du fils de Marie. (Pour le père, les historiens hésitent entre un obscur charpentier victime d'un recensement abusif et un adepte facétieux de la PMA surprise.)

     Dieu, que de réjouissante fraîcheur patronale dans cette ironique chronique de la cupidité ouvrière !
    Que de joyeuse dérision dans la peinture des tergiversations pseudo-morales des assujettis congénitaux face à l'incompatibilité de leurs aspirations profondes avec leurs valeurs égalitaristes. Comme c'est drôle un prolo avec un cas de conscience au-dessus de ses moyens !

     Il était temps. L'influence déplorable des films anticapitalistes - y compris aux USA où Mat Damon combat les gaz de schiste* - se fait de plus en plus sentir chez les décideurs politiques depuis que Depardieu et DSK sont passés à l'Est, seul refuge de la pensée ultra-libérale menacée par la dérive humaniste de Wall Street.

     Pourtant, ça commence mal. Dumont, patron d'une PME écolo, dans une louable tentative de responsabilisation démocratique de ses employés, leur laisse le choix entre une prime bien méritée et le maintien à son poste d'une dépressive improductive et pleurnicharde vivant de ce fait à leurs crochets. Sans la pointe d'humour goguenard marqué par l'invraisemblance même de la situation (comme s'il était besoin de donner une prime à ceux qui restent pour qu'ils acceptent le licenciement d'un canard boiteux !), on pourrait croire à un dangereux plaidoyer pour l'auto-gestion.
    Heureusement les talentueux frères Dardenne manient l'ironie avec brio et lancent l'héroïne dans une tournée de la médiocrité prolétarienne qu'ils dépeignent avec la pudeur nécessaire pour ne pas froisser les masses tumultueuses souvent inaccessibles au second degré.

    Armée de son sourire pitoyable, de ses yeux cernés et d'un tube de Xanax pour famille nombreuse, Sandra parcourt les profondeurs suburbaines de la Wallonie post-industrielle pour implorer ses futurs ex-collègues de renoncer à leur terrasse à barbecue ou aux études de la petite afin qu'elle puisse égoïstement continuer son existence surnuméraire. Comme c'est drôle une simple d'esprit qui croit à la bonté humaine !

    Tout est dit.
    Le film dénonce avec justesse l'habituel chantage affectif des geignards et assistés professionnels qui encombrent les stages de reconversion permanente et empêchent les honnêtes travailleurs de faire fructifier le patrimoine des élites dans l'allégresse naïve des joueurs de lotos.
    Le chemin de croix de la mendiante aux yeux creux est en fait le prétexte à une description quasi clinique et à peine caricaturale des masses laborieuses (nul besoin de forcer le trait pour mettre en lumière l'absurdité pathétique des pauvres), qui hantent les centres commerciaux délabrés à la recherche des sardines en promotion au lieu de se goinfrer des petits fours offerts dans n'importe quel vernissage d'art contemporain du Faubourg Saint-Germain.
    Cette réjouissante galerie de portraits comprend entre autres un vététiste hargneux, un balourd gentillet,un arabe qui travaille au noir, un noir (pas le même) accro aux allocs, une jolie fille égoïste, une future divorcée irresponsable, un footballeur larmoyant et maigrichon ; autant d'archétypes populaires grotesques empreints de réalisme, qui pourraient faire passer cette comédie loufoque pour un documentaire sociologique sans la dérision à la limite du cynisme dont font preuve les auteurs, toujours à l'affût du moindre gag, comme par exemple la tentative de suicide aux anxiolytiques … sans alcool !
    Comme c'est drôle (et cruel!) l'ignorance d'une victime qui se débat !
    C'est délicieux comme un orage de grêle sur un défilé du 1er mai.

    Nul doute que même les classes moyennes et certains ouvriers non communistes ne prennent plaisir à ce joyeux pamphlet pour la défense de la compétition naturelle entre les individus et le maintient du droit à la rémunération subjective, sans lequel aucun patron ne peut réellement se distraire. 

    Courez voir Deux jours, une nuit, vous y apprendrez l'art de manipuler les prolétaires en s'amusant mieux qu'à HEC.
    Courez voir ce film pour découvrir avec stupeur que les ouvriers sont des gens comme vous et moi, ni pire ni meilleurs, ce qui renforcera votre hygiénique désintérêt pour la mixité sociale.
    Courez voir cet ode à la dignité, simplement parce que c'est une superbe histoire de courage et d'amour, qui donne envie de vivre malgré l'injustice et la bêtise qui servent de principes salvateurs à ceux qu'on nomment consommateurs.

    Pégéo, un jour de grève comme un autre.

     * Promised Land de Gus Van Sant : bluette écolo et malsaine (pléonasme) qui présente comme un héros un traître aux intérêts de son employeur pour des raisons morales et sanitaires incompatibles avec les notions de progrès et d'enrichissement : écœurant !

    « HerNear Death Experience »

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