• Dark Shadows

    Dark ShadowsDark Shadows Dark Shadows

     Depuis Mars Attacks, on sait que Tim Burton est un cinéaste engagé, qui construit une œuvre humaniste en phase avec les problèmes de notre société, usant du glamour hollywoodien et des effets spéciaux pour transmettre son message d'amour, de partage et de pragmatisme anglo-saxon.
     Avec Dark Shadows, il s'interroge sur l'avenir de l'humanité en cette période de mondialisation.
     Comment, à l'heure où la moitié de la planète crie famine tandis que l'autre confit sa cervelle téléravagée dans de la graisse bio et du sucre inverti, comment résoudre les problèmes de malnutrition et la démographie galopante des classes oisives et pauvres, pour qui le sexe reste le seul luxe accessible avec la bénédiction des bourses de tout poil ?
     Tim Burton se posait la question pour chasser de son esprit les ardeurs érotiques que faisaient naître en lui une publicité pour le dernier fusil à pompe de Remington, quand la lumière jaillit dans son œil malicieux.
     « Bon sang, mais c'est bien sûr ! », s'écria-t-il en se frappant le front avec la part de pizza au boudin-mayonnaise qu'il tenait encore à la main. « Popularisons la transfusion sanguine in vivo ! » poursuivit-il in petto car il avait la bouche pleine.

      Certes, les riches ont toujours sucé le sang des pauvres, c'est même à ça qu'on les reconnaît. La véritable innovation de Tim Burton est de proposer une généralisation fraternelle de cette pratique à toute l'humanité et d'assurer ainsi un plus juste partage des protéines.
     Dans un premier temps, il se contenta de réaliser un manifeste sponsorisé par l'OMC, la fameuse secte Omophagie, Mastication et Cannibalisme. Cette œuvre virulente était d'ailleurs dédiée à la fondatrice de ce mouvement, l’équarrisseuse de Londres, aussi appelée Maggi-Tas-de-Chair, en référence au court-bouillon dans lequel elle jetait les ouvriers gallois quand la faim frappait au carreau des mines abandonnées, lors d'hivers si rigoureux qu'il gelait à pierre fendre jusque dans le cœur de granit des traders de la City.

     Mais trop d'audace est souvent indigeste pour le commun des mortels. Le cinéaste le sait. Il décida donc de masquer son plaidoyer révolutionnaire sous le couvert d'une farce fantastique dans laquelle s'affrontent une sorcière plus envoûtante qu'une larme dans l’œil d'un crocodile quand s'y reflète les lumières du port d'Alexandrie, et un vampire repentant, bien qu'assoiffé et multirécidiviste, prêt à offrir son propre sang pour sauver les victimes de la rapacité congénitale de la Belle.
     Le symbole est clair : d'un côté l'avidité à paillette d'une classe dominante aliénant les foules par une maîtrise de la communication, la corruption des politiciens et des forces de l'ordre ; de l'autre la générosité, la solidarité et l'amour comme unique recours à la faillite d'une société oublieuse de ses valeurs ancestrales. D'un côté la beauté apparente au service du mal, de l'autre la monstruosité née de l'injustice, qui cache un cœur d'or.
     Cette dichotomie entre apparence et réalité ainsi que le manichéisme enfantin de l'argument ne peuvent que faire sourire à notre époque de transparence, de clarté et de tolérance. Pour comprendre le choix scénaristique de l'auteur, replongeons-nous dans cette année 1972 en laquelle se situe l'action.
     Fermons les yeux sans frémir des narines et souvenons-nous.

     1972
     Ecologie : L'Agent Orange de Montsanto permet enfin aux G.I. de faire la différence entre un Vietnamien et un Eucalyptus sans consulter le Guide Michelin ni prendre d'amphétamines. Comme aimait à leur rappeler Nixon : « Tirez vers où ça crie. Seul le Viet hurle quand c'est cuit. L'arbre a la décence de brûler sans gémir. »
     Littérature : Le premier choc pétrolier n'est encore qu'une utopie spéculative pour trader romantique et les métastases de Pompidou se marrent en silence tandis qu'il jure fidélité à l'Europe avec ces mots : « Bon sang ne saurait mentir. »
     Sport : Dans les rues de Derry, l'armée Britannique gagne 14 à 0 tandis qu'à Munich les Palestiniens se contentent d'un 11 à 5 où tout se joua dans les prolongations.
     Religion : Love Story, le best-seller d'Erich Segal devient le Nouveau Testament des Leucémiques, une secte romantico-cancéreuse qui épanouira d'abord ses corolles vénéneuses chez les nantis, avant de se propager chez les habitants de Three Miles Island quelques années plus tard.

     Tout est dit.
     En 1972, tout va bien donc. Trop bien.
     L'humanité occidentale a besoin d'une tragédie antique, d'un combat de super-puissances incarnées pour se rappeler que la vie est fragile et retrouver le goût des joies simples comme, par exemple, l'arrivée du printemps dans un goulag sibérien, le dernier regard d'un bébé phoque pour son bourreau ou bien l'accueil de Kouchner par les Biafrais, dont le sang très pur mais trop maigre abreuve leurs sillons où s'épanouissent des mines joliment peintes couleur terre pour leur faire la surprise.

     C'est, très intelligemment, le contexte choisi par Tim Burton afin de créer le choc nécessaire pour donner de la force à son propos. Les images somptueuses quoique réalistes transportent dans des atmosphères oniriques des comédiens talentueux dont on devrait bientôt parler dans certaines revues confidentielles.
     Ainsi, Johnny Depp, déjà aperçu en danseuse dans Pirates des Caraïbes. Il en a gardé le maquillage efféminé et la légèreté de la démarche, associée cette fois à une rigidité vertébrale conférant à son personnage une grandeur cadavérique qu'on ne trouve plus guère de nos jours que chez certains dictateurs asiatiques ou dans les conseils de surveillance des fonds de pension américains.
     Une quinquagénaire avenante nommée Michelle Pfeiffer fait de remarquables descentes d'escalier mais sa robe moulante est trop longue pour qu'on puisse juger si son jeu de jambes lui permettra de soutenir plus d'un round face à Bérénice Béjo qui reste la championne incontestée du croisé-décroisé, en jupe courte comme en bikini.

     L'intrigue reste cependant confuse. Par exemple l'histoire du bal, qui n'est qu'un hommage à Roman Polanski, tombe comme un cheveu dans la soupe puisque sans rapport avec la scène précédente, dans laquelle les châtelains dissertent d'attributs masculins tout en dégustant un potage dans lequel heureusement ils ne trouvent rien. C'est en tout cas le contenu du dialogue original, une fois de plus édulcoré par les sous-titreurs bien pensants.

     Le réalisateur, subjugué par sa propre créativité et son attirance pour les jolies femmes perd très rapidement son propos de vue et c'est tant mieux. La faim dans le monde a beau nous prendre aux tripes, rien ne vaut le baiser d'un vampire sur la gorge délicate et fragile d'une vierge qui s'abandonne aux vertiges de l'amour platonique lors d'une chute vertigineuse au fond d'un abime écumant où la mort l'attend ; ou l'apparition soudaine du décolleté ensorcelant d'Eva Green lorsqu'elle s'abandonne aux délices de l'amour lubrique lors d'un grimpé de rideau vertigineux au sommet duquel l'attend la félicité orgasmique, pour se mettre en appétit avant que ne démarre le JT au menu duquel les frasques sexuelles des présidents le disputeront aux problèmes de sur-poids des généraux affameurs.

     Est-il prudent de voir ce film avec des enfants ?
     Tout dépend de la conscience politique que vous aurez su développer en eux. Les moins déficients des bacheliers risquent de prendre cette œuvre au premier degré et de s'esclaffer là où le directeur de l'office de tourisme des Carpates froncerait les sourcils d'indignation (c'est terrifiant, surtout quand il a oublié son œil de verre), et les plus sensibles des grandes sections seront parfois enclins à manifester leur épouvante face aux rares scènes destinées à réjouir le cœur des croques-morts mexicains qui forment un public de plus en plus important en ces temps de disette.

     Reste que Tim Burton est un cinéaste raffiné. Il nous livre des images sublimes où l'ombre et la lumière semblent avoir été ciselées par un Henri Alekan amoureux. Rien que pour elles, pour l'humour presque britannique de certaines répliques et le tendre parfum nostalgique d'une époque qui préférait rire sans méchanceté que d'être impitoyable faute d'idée, parce que l'amour faisait la nique à la guerre et que le pire n'avait pas encore disparu des mémoires, courez, courez donner votre sang à l'annexe de l'ESF la plus proche !
     Après on se sent plus léger. Comme si quelques péchés flottant dans le plasma venaient de nous abandonner au profit d'êtres moins fortunés, que quelques globules rouges, même enrobés de cholestérol, suffisent à rendre heureux.
     Si vous avez le sang bleu, restez nobles dans l'adversité et attendez chez vous le prochain passage de la guillotine.

     

    Pégéo, un soir de mai,
    alors que les diablotins de Saint-Sulpice
    saignaient dans le soleil couchant.

    « Les Vieux ChatsBarbara »

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