• Camille redouble

    Camille redoubleCamille redouble PDFCamille Redouble

     

      C'est la fin de l'année et pour fêter ça Camille se fait trancher la gorge par un boucher reconverti dans le lifting low-cost. Ça ne lui réussit pas vraiment et c'est toute enchifrenée qu'elle rejoint un appartement de moins en moins conjugal et de plus en plus délabré. Heureusement elle compense les litres de sang perdus par une quantité équivalente de whisky, qui comme chacun sait, signifie eau-de-vie chez les ploucs anglophobes et les médecins de Neuilly. Elle retrouve aussi sec une vitalité débordante, manifestée, lors du défouloir rituel de la Saint-Sylvestre, par de furieux coups de fouet capillaires dont l'énergie agressive suffirait à faire fuir le boson de Higgs de l'autre côté du big bang. Au fond d'un verre de la noble boisson, elle tombe sur La part des anges et s'envole pour le paradis du passé malléable, de la vie à géométrie variable, des univers parallèles où tout est possible à condition de vraiment savoir ce qu'on veut et d'être gentil avec ses parents, ses amis, ses profs, Dieu et les horlogers métaphysiques, ce qui finalement ne change pas vraiment de ce bas-monde. C'est bien la peine de courir la mort pour en arriver là.

       On ne change pas le passé, seulement le regard qu'on porte sur lui. L'histoire de Camille, révélée dans sa grandiose insipidité dès le début du film, ne changera pas et c'est donc ailleurs que réside l'intérêt de ce film qualifié de majeur par France Inter - mais c'est un repaire de bolcheviques qui lit Télérama comme Benoît XVI récite ses propres encycliques ou Kerviel adule les cours de la bourse, alors méfions-nous de leurs jugements hâtifs empreints des a priori en vogue dans les café bobos de la Bastille.

       Sous les fallacieuses apparences d'une comédie moralisante proche de l'auto-fiction psychanalytique, c'est à dire d'une escroquerie intellectuelle qui consiste à faire payer sa thérapie par les spectateurs, Noémie Lvovsky dépasse le genre et invente le Film Glauque, à mi-chemin entre le gore B.C.B.G et la comédie pour adolescents dont American Pie et Les Sous-doués resteront à jamais les fleurons incontestés.

      Nul doute qu'en cette époque de nombrilisme exacerbé et de maturité retardée où la crise d'adolescence se fait à quarante ans, où chacun se débarrasse en direct sur son blog de ses complexes boutonneux à grand coup de fantasmes sexuels retenus touchants de naïveté, nul doute que ce style fera florès dans les mois qui viennent. Cela promet des festivals de Cannes dominés par des réalisateurs adipeux glosant, l’œil humide de tendresse pour eux-mêmes et les lèvres gercées par un éternel sourire d'humble auto-satisfaction, sur leur déboires d'adolescents, dont il viennent enfin de comprendre la banalité existentielle et qu'il leur semble urgent de faire partager au monde, des fois que celui-ci soit peuplé d'êtres moins intelligents qu'eux. On s'en réjouit d'avance. On va enfin pouvoir passer le mois de mai en Sibérie sans avoir mauvaise conscience.

      Noémie Lvovsky est en effet la digne représentante de la génération Casimir, celle des adulescents branchés non-prolétaires qui n'en finit pas de digérer le Gloubi-boulga de ses tendres années, se trémousse sans honte sur un tube de Tears for Fear* et ne sait toujours pas draguer autrement que sur Dreams are my Reality**.

      C'est donc très logiquement, dans un processus de conscientisation totalement freudien, que Camille retourne dans le passé, pour y revivre et éventuellement changer ses seize ans, non pas en tant qu'adolescente, mais bel et bien dans le corps et le cerveau de la quarantenaire à la féminité généreuse qu'elle est devenue.

      Evidemment, les autres personnages, restés bloqués en 1985 - époque à laquelle n'existaient ni internet, ni le téléphone portable et où les voyages spaciaux-temporels étaient réservés à une élite mystique menée par Jean-Claude Bourret - la voient dans la fraîcheur de ses seize printemps, ce qui est une frustration permanente pour le spectateur un tant soit peu esthète qui doit, lui, se contenter de regarder l'égorgée flapie de la Saint-Sylvestre affublée de chandails bigarrés trop mous pour engendrer la moindre velléité de gaudriole.

      Et c'est bien sous cet aspect-là que la réalisatrice donne toute sa dimension au terme de Film Glauque dont elle pourra orgueilleusement porter la maternité lorsque ce genre aura son propre festival au Palace*** ou du côté de Lacan-les-mines.
      En effet, toute la finesse de cette œuvre repose dans la duplicité de Camille qui trompe, dupe et manipule son monde avec un manque de scrupule éhonté que l'on ne trouve d'ordinaire que chez les politiciens les plus réputés ou les journalistes les moins avinés. La perversité de l'héroïne, renforcée par son expérience de la vie et sa connaissance du futur, est absolument sans limite. Seule compte pour elle sa volonté égoïste de changer le cours des choses, peu importe les souffrances de ses parents ou les psychoses que cela engendrera chez ses proches. Elle ira même jusqu'à dévoyer sexuellement un lycéen pubère dans une scène qui, dans tout autre film, serait hautement condamnable tant est immoral son anti-érotisme, dont le parfum de jouissance avortée est au plaisir de la chair ce que le graillon est à la haute cuisine.

      Tout est dit.
      Rien ne changera sauf Camille, ce qui est la preuve d'une perlaboration1 aboutie quoique laborieuse et il ne nous reste plus qu'à en faire autant pour rentabiliser le prix de notre place de cinéma.

      L'extrême justesse de Jean-Pierre Léaud en gardien du temps, de Denis Podalydès en gardien des souvenirs et de Samir Guesmi en gardien de l'amour distille de voluptueuses bulles de fraîcheur qui, délicieux contre-points de simple humanité, mettent en exergue l'escroquerie fondamentale de l'héroïne, qui finirait par devenir attachante tant elle est habile à se faire passer pour une victime, à laquelle il faut bien avouer que nous ressemblons suffisamment pour nous identifier.
      Heureusement, pour contrebalancer la déception du cinéphile innocent qui croyait se rincer l’œil sur les formes aguichantes et la peau soyeuse de jeunes filles en fleur comme il est d'usage, du moins à Hollywwod, dès que l'on aborde les sweet sixteen, Judith Chemla se livre, au bord d'une piscine, à une danse érotique mémorable de naïveté qui compense un peu sa frustration légitime de ne plus voir Béatrice Béjo au générique depuis déjà trop longtemps.

      Doit-on courir voir ce film si l'on a déjà résolu sa crise de la quarantaine ?
      Si l'on est capable d'allier l'humour à la compassion en lisant les œuvres complètes de Jung un œil sur l'Origine du Monde, aucun risque majeur n'est à craindre. Les adulescents toujours en possession de reliques vestimentaires des années 80 seraient cependant bien avisés de se faire accompagnés par leurs enfants afin de prévenir le déclenchement d'un épisode dépressif d'auto-apitoiement dont le ridicule pourrait renforcer leur tendance à ne pas sortir du 11ème arrondissement.

      Le reste de la population peut assister à la projection sans crainte de se décrocher la mâchoire, que ce soit par rire ou bâillement, à condition de ne pas oublier qu'il s'agit d'un film d'auteur, fait par elle, avec elle, pour elle, alors restez humbles et respectueux, même si vous l'appréciez.

    Pégéo, un jour qu'Hortense était en avance.

    * Tears for Fear : Célèbre groupe pop qui permit aux jeunes gens de croire qu'ils savaient danser et qu'eux-mêmes savaient chanter. Rares furent dans les années 80 de telles communions dans l'erreur d'un groupe avec son public. D'habitude, seuls les braillards restaient ignorants de la réalité.

    ** Dreams are my reality : Chanson de Richard Sanderson dégoulinante de guimauve au point de ralentir la rotation des disques ce qui fit prendre pour un slow magique ce qui n'était qu'une parodie syncopée de l'horloge parlante.

    *** Le Palace : Célèbre lieu de festivités nocturnes très parisiennes, fort réputé dans les années 80 pour son manque de rigueur morale et le mauvais goût de son décorateur, surtout quand il transpirait.

    1 Perlaboration : action du percolateur à souvenirs sur les neurones ou, plus prosaïquement, achèvement d'une thérapie incluant la compréhension de ce qu'on y a découvert. Dommage, le mot était joli.

     

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