• Le Havre

    Le Havre  Le Havre Le Havre

     

      En ce moment, le passé est de retour.
      Du moins au cinéma.

      Après la nostalgie muette de The Artist*, Le Havre étale les couleurs fanées des années 6o' sur une vraie pellicule argentique pleine de rayures, nuances fragiles aussi reposantes qu'une nef romane à la voute de laquelle s'accrochent quelques fragments de peinture à la chaux, semblables aux malicieux sourires qu'un clown désespéré adresse aux illusions perdues de notre humanité d'antan.

      Ames sensibles abstenez-vous ou votez Le Pen car ce film est raciste. Pas trop, juste un peu, juste ce qu'il faut pour rester humain et garder sa dignité.

     Comme le titre l'indique faussement, c'est l'histoire d'une cancéreuse yougoslave. Ou finlandaise. Enfin d'un de ces pays qui n'existent que pour embêter la Russie.
      Elle retrouve Pierre Etaix à l'hôpital après l'avoir quitté 50 ans plus tôt, Soupirant sur un quai de gare.
      L'histoire s'arrête là, au bout d'un quart d'heure, car on n'a pas le droit de filmer dans les hôpitaux, sauf pour tuer le temps, qui est l'ennemi de la maladie sans laquelle les médecins ne pourraient s'amuser. De toute façon, le héros a été assassiné dès la première séquence, si vite que la caméra n'a pu le suivre et qu'il trépasse hors cadre ce qui est très frustrant et laisse espérer un rebondissement qui ne viendra pas. Dès lors, pourquoi s'ennuyer ?

     S'ensuit un docu-fiction cynique et enjoué sur les divertissements pervers du troisième âge au purgatoire des années qui s'arrêtent de compter. Dans ce véritable havre de paix (d'où le titre, l'action se déroulant en fait à Novossibirsk ; la preuve, il n'y a ni chat ni crème à fouetter contrairement à la Normandie), ces vieux indécis hésitent en permanence entre le paradis et l'enfer, la collaboration ou la résistance, vivre ou mourir mais peu importe, ils sont les seuls que ça amuse. Les autres sont partis.
      En effet, depuis qu'on y a reconstruit la gare en style post-germanique, Le Havre meurt et ne se rend pas à l'évidence de la modernité. Le temps s'y est arrêté et ne passe plus, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes de cette ville, brillamment illustré par l'usage systématique des plans fixes sur les regards immobiles et perdus des protagonistes.

     Une bande de retraités, qui devaient déjà l'être sous Pompidou, s'évertue à rendre chèvres une chienne et un gamin en les obligeant à jouer à cache-cache dans les lieux les plus improbables. L'enfant est noir, ce qui de nos jours est une performance, d'autant plus qu'il a passé la douane et l'église sans se faire tirer. La chienne est rousse, comme Lassie mais avec moins de mordant.
      Elle cherche désespérément le mioche, passé tel Moïse du berceau familial (un container, nous sommes en Sibérie) à l'eau glacé de l'Ob, puis au cagibi. Les potaches sénescentes le dissimulent tour à tour dans une armoire (facile!), dans un hôpital (tricheurs, c'est interdit aux animaux comme aux caméras !), l'arrière-cour d'une boulangerie, la boîte à cirage du mari de la cancéreuse et finalement dans une cale de chalutier humide, étouffante et qui sent l'Angleterre.

      Les vieux continuent de soigner leur ostéoporose au calva d'os, le gamin pleure et la chienne fait une dépression.

      Là, le film devient insoutenable de cruauté et d'invraisemblance. C'est une honte de traiter ainsi les animaux. La torture psychologique n'a pas été inventée pour les chiens, mais uniquement pour les humains et à la rigueur les réfugiés. C'est en effet pour eux un moyen pratique et économique de se faire psychanalyser à l’œil.

     Heureusement un esprit sain, (ou vice versa, on ne sait jamais avec ces gens-là) veille sur la communauté. Délaissant un instant l'amusante lecture de Géhanix chez les Gaulois**, il souffle à l'oreille de la police quelle infamie se perpétue dans la vieille ville. Souffler n'est pas jouer et le commissaire le prend au sérieux.

     Brave homme quoique français, le poulet prend la chienne sous son aile et la débarrasse de son addiction au petit noir grâce à la thérapie dite « de la demande d'asile » dont l'efficacité n'est plus à démontrer depuis que le Dr. Hortefax l'a testé pour vous car il le vaut bien.

     Le malheureux enfant est évacué outre-manche dans le pays du tiers-monde le plus proche car il a atteint la date limite d'utilisation. Cette dénonciation radicale du cynisme consommateur des survivants de la dernière est une bouffée d'air frais dont la légèreté printanière soulage nos cœurs de la langueur monotone qui les berce depuis l'automne.

     Pour pénitence, les vieux doivent écouter sans broncher les machouillis de yaourt d'un rocker nain rongé d'arthrose, avec leur sonotone réglé sur Max bien que le chanteur s'appelle Bob. La rédemption par la souffrance, adage capitaliste par Excellence, prend ici tout son sens chrétien.

     La cancéreuse valaque guérit miraculeusement mais trop tard, elle a été nationalisée par le chirurgien et on ne peut plus s'en débarrasser.
     Les couleurs continuent de se faner dans les embruns rougis par un soleil si bas qu'il faut lui pardonner, Le Havre peut reprendre le cours de son temps à jamais immobile.

     La palette picturale du réalisateur francophile nous étonne une fois de plus. Elle nous entraine dans un univers désuet et enchanté dont l'anti-fluorescence souligne la bienfaisante douceur.
     La modernité s'exprime uniquement à travers les symboles chaleureux du pouvoir, l'argent et la police, ce qui laisse peu de doute sur l'orientation libérale de l'auteur rennophage.

     On soulignera la qualité des acteurs, tous pensionnaires de l'Hospice Saint-Sauveur-des-Morues. Leur diction particulière imposée par l'usage de dentiers cinégéniques peut déconcerter mais on s'habitue, sauf pour le chien qui couine en Fa mineur. Ceci est très désagréable et fait grincer les dents des spectateurs. Dans une salle pleine, on n'entend plus ronfler son voisin.

     La chienne est interprétée par Laika, une star soviétique sur le retour mise en orbite à la fin des années cinquante puis laissée à son triste spoutnik avant d'être redécouverte en laisse au milieu des chiens. (Pas de contrepèterie, restons corrects.)

     Allez voir ce film avant qu'on ne l'interdise. Personne ne peut rester insensible à cet hymne à la résistance des quatre saisons, des métiers oubliés, des comptoirs de formica et des rues sans voiture.

     Mon Dieu, que la mer est belle quand souffle, entre le ciel changeant de nos âmes d'enfants et les vagues infinies de nos vies éternelles, le grand vent de la liberté, porté, depuis les rives lointaines des fleuves aux sources perdues, par le don sans raison de la fraternité à nos frères en souffrance, dans cette égalité des cœurs, des corps et des imperfections, qui constitue la seule propriété de notre humaine conscience.

      Pégéo, 1er jour de grand froid.

    * The Artist, voir critique du 29 pluviôse. 

    ** Gehanix chez les Gaulois, Collectif, Editions du Nain, Paris, 2011.


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