• Les Vieux Chats

    Les Vieux ChatsLes Vieux ChatsLes Vieux Chats

      Avec Les Vieux Chats, Sebastián Silva renouvelle le cinéma d'épouvante en l'adaptant à un public vieillissant qui ne va pas tarder à vérifier par lui-même si les facéties d'outre-tombe ne sont pas une alternative réjouissante à la maladie d'Alzheimer, bien que ce soit la seule qui sache se faire oublier.

     Brisant sans complexe les codes du genre, il filme dans une lumière crue les visages sanguins et tavelés de personnages monstrueux aux regards tantôt hallucinés, tantôt grimaçants, qui s'entredévorent autour de l'héroïne, une beauté octogénaire dont le sourire ravi renvoie au spectateur l'image atroce de la sénilité précoce qui l'attend s'il continue à regarder la télé.

     Cœurs sensible s'abstenir, les masques hideux des comédiens sont faits à partir de leur véritable peau. Tout juste si elle est passée au gant de crin pour en faire ressortir le grain, enflammer les boutons d'acné tardive, accentuer les rougeurs et raviver la couperose du jeune premier relatif, un Don Juan pour mouroir stalinien dont les paupières tombantes et le râtelier nicotiné suscitent plus de pitié que d'effroi.
      Seule la star féminine a droit à un plâtrage facial en règle. Il est vrai que c'est elle qui produit le film et elle soigne son image en économisant sur celle des autres. Cette pingrerie est d'ailleurs à l'origine de la plupart des choix artistiques du metteur en scène, contraint non seulement de tourner en lumière naturelle mais aussi dans l'appartement surchauffé de l'actrice principale, au milieu de ses chats obèses.
      Plus inventif que Mac Giver dans l'art de la récupération, Sebastián Silva eut tout d'abord l'idée de leur confier le rôle de Grimlins méphistophéliques, économisant ainsi sur la fabrication de marionnettes afin de se payer un nouvel ordinateur, tout en satisfaisant l'égo dévorant de la productrice. Il n'en resta finalement que le titre du film. En effet, devant le manque d'appétit des félins suralimentés pour la chair humaine, il ne put que leur octroyer celui de la carpette expiatoire sur laquelle se déchaînent les bottines d'une fille acariâtre, ce dont les sales bêtes se sortent avec brio et quelques côtes cassées. 

    Rendons hommage à ce roi du recyclage – en triant civiquement le bon grain de l'ivraie cinématographique, par exemple – qui sut utiliser la panne permanente de l'ascenseur lors du tournage pour transformer ce qui était à l'origine une remake de La Chevauchée Fantastique1 en fauteuil roulant, en un huis-clos étouffant inspiré de The Servant2 version Muppet Show.

     Une fois de plus les activistes de l'IFAC*, souvent dénoncés dans cette rubrique, sont à la manœuvre. Les comédiens ont été recrutés parmi les locataires de l'immeuble au détriment de professionnels plus présentables. Ils se composent essentiellement d'une culturiste lesbienne plus simiesque que Cheetah, du vieux beau déjà cité et de l'ex-apprentie de la Charcuterie du Cimetière** reconvertie après cure d'amaigrissement dans le mannequinat pour obèses, suite aux plaintes répétées des clientes qui tournaient de l’œil devant le pâté de tête au-dessus duquel tremblait le triple goitre de la pauvre employée.

     Tout est dit.
     A force d'adapter le scénario à un budget tout juste suffisant pour un spot auto-produit d'Emmaüs, l'horreur se confine aux masques naturels des personnages et au grain tremblant d'une pellicule poussée dans ses derniers retranchements. C'est tout juste si les poils des spectateurs se hérissent quand surgissent de la pénombre d'un escalier les varices de l'ancienne madone du cervelas.
     Certes, la classique arrivée des monstres - des guêpes transgéniques de taille humaine engraissées à l'uranium - donne un instant l'espoir d'une incursion dans le fantastique. Surtout quand la mamie shootée au savon des Andes se laisse prendre au charme sulfureux des bestioles et les suit dans leur repaire tropical. Le sang du spectateur se met enfin à bouillir, ses yeux bouffis d'ennui s'écarquillent et sa langue chargée de frustration se met à pendre tel un ciboire carnassier dans l'attente des gouttes d'hémoglobine parfumée à l'ancienne dont l'écran devrait, en toute logique, être bientôt recouvert.

    Las ! Le gag est trop vite éventé. La jungle n'est qu'une pâle copie du Parc des Buttes Chaumont sise au fin fond d'une sous-préfecture sud-américaine et tout espoir d'une frayeur digne de ce nom retombe pour laisser place au ronronnement quotidien des escroqueries familiales, des haines utérines et des jalousies domestiques dont même le 20h00 de TF1 ne fait plus ses choux gras. C'est dire le manque de protéines animales de cette œuvre dont seul un végétarien pourrait s'émouvoir.

     Ah ! Si seulement la grand-mère avait eu de longues dents, le grand-père des griffes acérées et la fille les lèvres purpurines de Bérénice Béjo quand l’œil charmeur d'un jardinier espion les fait s'épanouir, gonflées d'un amour palpitant, sur des délices sanguins qu'un vampire rassasié eût encore dégusté sans cacher son plaisir ni même claquer des crocs.
     Ah ! Si au lieu de satisfaire à la mégalomanie de la star productrice en lui offrant une scène de La Dolce Vita pour grabataire sénile, le réalisateur avait plongée une Anita Ekberg, même argentine, dans une fontaine rouge encerclée par une foule fellinienne cherchant à noyer la beauté qu'ils jalousent.
     Ah ! Si seulement le fond de teint de la vieille n'avait pas été waterproof. Il aurait pu dégouliner et révéler son vrai visage de harpie. Son sourire niais se serait lentement transformé en un rictus cruel avant qu'elle ne poursuive nuitamment de ses assiduités malsaines l'Adonis retraité, boitillant dans le parc abandonné, à travers les bosquets où luisent les yeux des chats harets à l'affut de leurs proies quand la paix des cimetières tombe sur les allées désertes.
    Alors là, oui, on y aurait cru !
     Nos bouches desséchées par l'angoisse se seraient ouvertes sur des cris d'épouvante étouffés de stupeur au lieu de se distendre sur des bâillements trop profonds pour être réprimés.

     Bien sûr, on peut se contenter de croire l'attaché de presse qui tente de nous vendre un film néo-réaliste, tourné en Dogme95, sur la recherche éperdue de reconnaissance et d'amour maternel que la frustration transforme en haine, sur la violence nécessaire à l'acceptation de modes d'expression antagonistes.
     Mais dans ce cas, à quoi bon fréquenter les salles obscures si nul frisson ne les parcourt, si de cette nuit factice et provisoire ne surgit l'effroi cathartique qui seul rend supportable l'horreur du quotidien qu'étalent les JT sur leur écran minuscule comme un américain moyen son beurre de cacahouètes sur ses pizzas à l'ananas ? Autant regarder un documentaire sur la stratégie territoriale des félins en milieu urbain ou, dans une émission de télé-réalité, le concours de sourires pathétiques des trentenaires déjà has-been cherchant une sinécure avant que l'oubli général ne confirme le juste prix de leur talent.

     Ce film a cependant le mérite de poser clairement un question trop souvent éludée au cinéma : doit-on courir dans les escaliers quand la Mère Michel a perdu son chat et que l'ascenseur est en panne ?
     Sans apporter de réponse claire, il démontre clairement que ça vaut parfois la peine d'essayer. Il arrive qu'au détour d'un palier l'amour ait raté une marche et qu'il suffise alors de se baisser avec humilité pour le ramasser. C'est déjà ça, comme disait ma concierge en comptant ses étrennes. Les marches récemment javellisées peuvent alors servir de décor à une admirable Piétà des temps modernes, dont les visages baignés de bonté habillent bien les murs blanc cassé que les urbanistes affectionnent autant que les matous en rut.

     Pour ceux que l'amour a déçus, pardon, qui ont déjà aimé, ceux qui ont hérité sans se fouler ou qui aiment le cinéma d'épouvante parce que ça chasse les poux quand les cheveux se dressent contre eux, inutile de courir, vous perdriez votre temps, ce film ne vous apprendra rien que vous ne sussiez déjà avant de quitter le giron familial.
     Les autres peuvent toujours courir pour voir ce film, mais méfiez-vous, on n'apprend pas aux vieux chats à faire les Grimlins.

     

     Pégéo, trois jours avant la libération.

     

    * Internationale du Film Anticapitaliste,
    cf.
    Querelles et Le Havre.
    ** cf. Parlez-moi de vous.

    1 : de John Ford avec John Wayne et Claire Trevor.
    2 : de Joseph Losey avec Dirk Bogarde.

    « QuerellesDark Shadows »

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :