• Le Cochon de Gaza


    Le Cochon de GazaLe Cochon de Gaza Le Cochon de Gaza


      « N'est pas Corneille qui veut », lançait Racine à son producteur Louis Legrand tout en lorgnant Titus d'un regard porcin avant de jeter son dévolu sur Bérénice (La Reine de Palestine, pas la Béjo*, aux yeux d'une si sombre beauté qu'un empereur s'y perdrait sans remord).

     
      Dans Le Cochon de Gaza, Sylvain Estibal renoue avec la tragédie antique en la replaçant toutefois dans un contexte politique actuel, ce qui lui fait perdre en crédibilité. Qui pourrait en effet imaginer que, de nos jours, l'idéologie et la raison d'état peuvent encore empêcher les hommes de faire des affaires et les femmes d'en avoir ?
      Selon les statistiques de l'ONU, le XXIème siècle sonne le glas des conflits utérins et la hache de guerre est définitivement enterrée sous les décombres des palais de Bagdad. C'est vous dire les progrès effectués depuis l'époque où Ajax célébrait l'Aïd devant Troie.

      Jafaar n'était qu'un pêcheur pauvre, il va devenir un pauvre pécheur un jour que Dieu était d'humeur taquine.
      Ayant maille à partir avec un cochon vietnamien venu aux bains en Terre Sainte, son bon cœur l'entraîne à lui donner asile sur son chalutier en attendant de l'exfiltrer de cette bande de Gaza refermée sur elle-même telle un trou noir se regardant dans le miroir au point de snober la communauté internationale et interdire les régates humanitaires, preuve de l'ostracisme d'une population trop fière de sa disette endémique pour s'ouvrir à la gastronomie occidentale. Même l'ONU, pourtant prompte à aider les réfugiés de bâbord comme de tribord, refuse d'accueillir le suidé naufragé, trop occupée qu'elle est à construire des écoles avec des sacs de riz.

      Heureusement, pour les israéliens - sans qui la vie dans le désert serait aussi morne qu'une plaine wallonne après le passage de l'Empereur et Ur-i-Salem, la ville de la paix, un simple cimetière de martyrs, saints, prophètes et autres fiers-à-bras pré-apocalyptiques dont on pourrait vendre avec profit les reliques et autres produits dérivés aux touristes asiatiques avec le même succès que les Tours Eiffel clignotantes fabriquées par leurs enfants dans des centres d'esclavagisme climatisés - heureusement donc, pour les israéliens, et bien qu'ils aient tué le veau d'or depuis des siècles, dans le cochon tout est bon, à condition toutefois qu'il garde ses pantoufles et mette sa petite laine quand il sort, on ne sait jamais, dès fois qu'il s'enrhume au vent mauvais d'une roquette ou d'un chasseur-bombardier en rase-mottes, parce qu'il faut bien que les militaires, ces grands enfants, laissent exploser leur amour de la farce lorsque la chair est faible et les chèvres rétives. (Ça y est, j'ai retrouvé la touche point.)

       Ainsi se renoue l'ancienne alliance sémite qui fit la joie de Nabuchodonosor à l'époque bénie où Ishtar hésitait entre la guerre et l'amour, ce qui laissait encore une chance à l'humanité. Mais je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Depuis, les enfants du tiers-monde ont dévoré les murs des écoles made in ONU, tandis que s'écroulent ceux des nôtres, aux frontons desquelles Marianne s'étiole dans sa robe d'espérance rongée aux mites par les nouveaux aristocrates du bâtiment et de la télé réunis.

      A court d'argument, Jafaar décide de frapper un grand un coup et embrasse le métier de martyr, très en vogue parmi les jeunes de la gazouillante cité gazaouie frappée par le chômage et la désolation, ce qui leur permet de s'éclater une bonne fois pour toute et montrer ce qu'ils ont dans les tripes. L'accès à cette profession de foi se fait sans diplôme, ce qui leur va à ravir puisque l'ONU n'a toujours pas retrouvé les plans du lycée qu'elle doit bâtir avec les stocks de corned-beef périmé qu'elle vient enfin de recevoir.

      Malheureusement pour le héros, son cochon lui joue un tour à sa façon et le martyr du pauvre pêcheur se prolonge ad vitam eternam. Avec deux femmes sur les bras, l'une plus belle que l'autre, et la bourse toujours vide, une vie de galérien s'annonce et l'horizon bouché par le mur de la honte n'en devient que plus sombre. Fuyant ce que d'aucuns prendraient pour le paradis, il finit par atteindre sa Terre Promise et s'aperçoit qu'elle ressemble furieusement à sa terre natale. Tout est dit.
      L'humour de Dieu est inhumain, les juifs en savent quelque chose.

      On peut regretter que le jeune réalisateur ait cru bon d'employer un ton si grave pour un sujet aussi dérisoire et divertissant que l'incompréhension entre les peuples. C'est pourtant une source inépuisable de quiproquos dont le boulevard raffole et qui, pour tout auteur qui se respecte, est généralement propice à extirper de grassouillets glapissements rigolards des bedaines ceinturées de cholestérol des peuples bouffis d'arrogance gastronomique grâce à l'ingurgitation quotidienne de cette gâterie crémeuse appelée financier.

      Le cochon est extraordinaire de présence et de précision. Il se délecte de vers d'Alexandrie sans bafouiller ni baver, et déclame, avec des grognements extraordinaires de justesse, d'émouvants monologues dans lesquels s'expriment les dilemmes cornéliens d'un Horace des temps modernes sur l'opportunité d'un sacrifice dont seules les victimes sont dignes, mais qui régalera les panses déjà trop rebondies de leurs bourreaux applaudissant l'éventration de masse depuis les loges d'honneur des arènes révolutionnaires, où ils se vautrent en compagnie de tyrans moustachus et de démocrates libidineux.

     La police et l'armée jouent leur rôle avec la subtilité qu'on leur connait, notamment dans les télénovelas brésiliennes sponsorisées par des remèdes contre l'arthrose, dont Jafaar fait d'ailleurs commerce en cachette des autorités. Le scénario a beau nous faire croire qu'il s'agit de sperme de cochon, ce n'est pas le sourire gourmand de Myriam Tekaïa recevant l'offrande fertilisante d'un Sasson Gabay plus idiot que nature avec un regard aussi innocent qu'un ciel d'hiver sibérien sous le soleil, ou les ondulations lascives de la chevelure de Baya Belal lorsqu'elle fait sa coquette, qui peuvent faire oublier le goût amer que laisse cette publicité déguisée.

      A l'instar d'une Cléopâtre de bazar, ce petit bijou de cynisme a reçu un César mérité, tandis qu'à la charcuterie du cimetière** les rombières reprennent de la cervelle en gelée tout en jasant sur celui de Bérénice. (Béjo, pas la Reine de Palestine, suivez un peu !)

     Courez voir ce film avant que les empêcheurs d'aimer en rond ne s'aperçoivent que la paix mondiale est dans le foutre de cochon et n'en interdisent la diffusion au profit de la banque du sperme, dont seuls les Ovules Génétiquement Modifiés préformatés qu'elle stocke assureront l'humanité standardisée dont rêvent tous les tyrans et les financiers, mais c'est un pléonasme.

     A l'heure où l'on coupe les oliviers centenaires pour bâtir des murs de barbelés, Le Cochon de Gaza est un rire d'espérance qui éclate par dessus les frontières imbéciles, un rire qui dégonfle les prophètes et les juges trop prompts à glorifier le sang versé, un simple rire de joie venu d'un pays où les bouffons sont rois.

      Ah ! Dieu, que le bonheur serait simple si on n'y prenait garde.

     Pégéo, le jour où j'ai failli devenir végétarien.

     * The Artist
    ** in Parlez-moi de vous.

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