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    QuerellesQuerelles Querelles

      L’Iran est un pays fourmillant de créativité, qui brandit l'innovation culturelle sur les écrans du monde entier tel l'étendard de la liberté intellectuelle flottant insolemment face au vent de la standardisation américano-occidentale de la pensée.
      Le cinéaste Morteza Farshbaf vient d'y inventer le premier film à lire.

      C'est très pratique pour les sourds-muets. Les traducteurs aussi  peuvent s'en donner à cœur joie avec les sous-titres et raconter une autre histoire s'ils le veulent. En effet, à moins de maîtriser la langue des signes en persan, personne ne pourra vérifier l'exactitude du texte projeté. Le style cinématographique choisi s'y prête admirablement bien puisque le film est non seulement dénué de paroles mais aussi d'action, ce qui permet de coller ce qu'on veut dans les mains gesticulantes des personnages principaux ou sur les longues images des collines iraniennes désertiques.
      C'est donc, deuxième innovation, le premier film à dialogues variables, une œuvre résolument moderne entièrement livrée à l'interprétation de tiers inconnus, laissant une grande liberté créatrice aux sous-titreurs de tous pays. Avec Querelles, cette profession méconnue et trop souvent décriée vient enfin de recevoir la reconnaissance qu'elle mérite. Gageons qu'un festival montrant en parallèle les diverses versions européennes et asiatiques de cette œuvre devrait être un grand moment culturel où se mêleront sur les mêmes images la farce et la tragédie.

      Mais Morteza Farshbaf ne s'arrête pas là. Redoublant, que dis-je, triplant d'audace, il invente par la même occasion le théâtre de marionnettes sans marionnettes !
      Le dénuement ainsi atteint permet de renouer avec les mises en scène les plus osées des séances nocturnes du Guignol du Luxembourg avant qu'on ne refasse la guitoune en faux art-déco couleur sapin défraîchi.
      L'encadrement d'un pare-brise fait office de cadre de scène et les pare-soleils jouent les manteaux d'Arlequin en deuil. Peuvent alors se dérouler de longs plans-séquences en caméra fixe, typiques des esthétiques pré-cataclysmiques, que seules la pluie et l'apparition récurrente d'une bouteille d'eau viennent rythmer, comme autant de symboles des larmes refoulées d'un enfant triste ou d'une démocratie bafouée, métaphores évidentes de leur soif inextinguible d'amour et de liberté.

      L'histoire elle-même permet toutes les interprétations.
      La trame de base est le voyage qu'Arshia entreprend avec ses futurs parents adoptifs, qu'il déteste parce qu'il ne sait pas encore qu'il est orphelin, mais ça lui passera, croyez-moi. Il imagine alors que leurs conversations ne sont que des querelles dont il est le sujet. Cet égocentrisme paranoïaque en dit long sur la représentation irréaliste que le réalisateur se fait de la vie de couple et ses projections personnelles sur le regard qu'un enfant porte sur les adultes. Le gamin les voit d'ailleurs essentiellement à travers un rétroviseur, limitant nécessairement cette vision à leurs yeux, ce qui renforce l'idée de confrontation absolue dans laquelle le réalisateur souhaite nous placer.
      Arshia peut donc inventer les dialogues qu'il veut - et nous aussi - puisque son oncle et sa tante parlent avec les mains. Ici se place le looping le plus risqué de l'auteur : l'enfant se raconte une histoire différente des dialogues réels, qui sera à sont tour transformée par les traducteurs. Qu'en restera-t-il ?

      Tout est dit.
      Querelles est une fable sur la non-communication, ses dangers mais aussi sa force créative. Il s'agit donc de cinéma expérientiel, permettant à chacun de vivre à son niveau l'expérience troublante de la reconstruction du non-dit en fonction de son propre passé. Une fois de plus, nous voilà spect-acteur.

     Mais là ne s'arrête pas le potentiel de lecture diversifié de cette œuvre digne de l'Oulipo.
     En effet, le conducteur volubile doit en permanence lâcher le volant pour s'exprimer, et regarder son passager pour écouter. C'est là qu'un nouveau doute s'installe.
     S'agit-il vraiment d'un film iranien, ou bien, déroulant son principe jusqu'au bout, Morteza Farshbaf ne nous laisse-t-il pas aussi le choix de la localisation ?
      Car où trouver, en Iran, des routes suffisamment peu fréquentées pour tourner sans danger de telles scènes ou même les rendre crédibles ? Le spectateur-voyageur moyen sait pour avoir mille fois traversé ce pays que c'est impossible. D'ailleurs, il y longtemps qu'on n'y trouve plus de 405 grise surbaissée comme celle qui suit le 4X4 des héros pendant la moitié de leur parcours.
      Certes, tous les hommes sont mal rasés et on y voit des silhouettes drapées de noir circuler le long d'une voie de chemin de fer. Mais sont-ce bien des femmes ? Seuls nos a priori nous poussent à le supposer puisque leurs visages ne sont jamais filmés. La suspicion de supercherie reste ici légitime, contrairement au gouvernement actuel de Téhéran. En outre, dans ce pays mal défini, jamais on ne voit de puits de pétrole ni de minaret et le coca y est en vente libre.
      C'est clair. Un seul endroit sur cette planète réunit ces diverses conditions de tournage, que l'observation attentive des nombreux plans-paysages suffit à confirmer. Le film a été tourné en Lozère, en grande partie sur le Causse Méjean, pour les parties désertiques, et dans Les Corbières pour la partie montagneuse. Bien sûr, le vignoble manque à l'écran mais ce n'est qu'un effet spécial destiné à nous projeter en pays islamique.
      Ceci explique le choix incompréhensible d'acteurs sourds-muets. Comme tous ses complices de l'Internationale du Film Anti-capitaliste*, Morteza Farshbaf a recruté ses comédiens dans la faune agreste locale, qui, évidemment, ne parle pas plus persan que Montesquieu à la puberté malgré qu'il en ait. (Seule occasion grammaticale de placer malgré que. J'en profite.)
      Le spectateur-voyageur aura aussi reconnu l'Arbre du Chaos de Nimes-le-Vieux,  auprès duquel l'enfant triste va régulièrement satisfaire un besoin qui n'est pas forcément celui qu'on croit, mais le cinéaste a suffisamment de pudeur pour laisser libre cours à notre sensibilité personnelle. C'est en tout en cas une preuve de plus de la délocalisation inavouée de cette production.
      D'admirables panoramiques permettent ainsi d'éviter la sensation de théâtre filmé et reposent agréablement l’œil, fatigué par le ballet virevoltant des mains du couple, dont on se demande parfois si en plus, ils ne sont pas bègues (ou parkinsoniens).

      Saluons donc (il faut faire comme ça en langage des signes, la main tendue portée au front, à moins que ce ne soit chez les militaires, c'est pareil, ils appartiennent eux aussi à la Grande Muette), saluons donc l'audace du réalisateur qui, comprenant d'emblée le handicap culturel dont souffre le cinéma iranien quand la censure refuse de lui faire de la promotion gratuite, réussit le tour de force de réunir sur l'écran les arts fondateurs du 7ème art et de créer ainsi une nouvelle écriture cinématographique.
      Celle-ci plonge ses racines dans l'universalité du silence, à l'instar de ma gomme qui s'appelle Reviens ou de ma femme qui s'appelle un taxi, c'est tout un, aucune ne répond jamais.
      Morteza Farshbaf rejoint ainsi le club des avant-gardistes néo-aphones que sont Lucas Belvaux (38 Témoins) ou Michel Hazanavicius (The Artist), qui prônent le retour à l'image pure sans oser aller au bout de leur démarche, hélas, ce qui éviterait de nombreux dialogues insipides, bien moins parlants que le regard d'un cocker implorant une porte ou la mimique d'un bonobo quand Bérénice Béjo fait sa Jane en tailleur léopard au Zoo de Vincennes pour stimuler l'appétit des singes anémiques trop prompts à s'endormir devant les grimaces de Marcel Rateau qu'ils surclassent haut les lèvres dans ce domaine.
     Bérénice Béjo dont ...(Suite en page 1, ici).

     Devez-vous courir voir ce film ?
     La question se pose avec la lourdeur d'un avion présidentiel polonais dans les fourrés de Smolensk.
     Tout dépend de votre imagination, de votre humour et de vos souvenirs d'enfance.
     Si par exemple, vous avez perdu vos parents avant 10 ans et que personne ne vous l'a jamais dit, n'y allez pas, vous risqueriez un choc.
     Si par contre vous savez d'expérience que la vie de couple n'est qu'une délicieuse suite de compromis et de choses dues, alors courez, la parodie joyeuse et tendre de Querelles ne manquera pas de vous faire glousser.

     A l'heure où je termine ces lignes, j'apprends que je n'ai rien compris. Ce film est en fait une critique acerbe mais déguisée du régime Iranien, dont les chefs cachent toutes les vérités, gesticulent pour rien, se querellent pour la possession des richesses et le droit à l'irresponsabilité, et pilotent la voiture carcérale d'un pays qui étouffe en restant sourds aux appels d'un peuple qui comprend tout et pleure, caché contre les arbres rares, ou au fond des tunnels noircis par les corps calcinés des victimes de leur conduite aveugle. C'est possible mais je ne vais pas tout réécrire pour autant.
     C'est MA traduction de leur gestuelle !

     

    Pégéo, juste avant qu'une rédactrice de mode ne m'abrutisse de propos inconsistants
    sur son prochain shooting à New-york au café Les Editeurs.

    * voir Le Havre, El Chino et Bullhead.

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