• Télé Gaucho

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    de Michel Leclerc

     

    1996. Toute la Gaule est envahie par la pensée unique, le respect de l'ordre RPR, les blagues des Grosses Têtes et l'addiction naissante au voyeurisme pour tous, forme télégénique d'autopsie à la mode Vichy mâtinée de vénération sado-maso du Big Brother.
     
    Toute la Gaule ? Non !
     
    Au fin fond du XXème arrondissement une petite communauté de sans-culottes résiste encore et toujours à l'envahisseur.
     
    Nos héros sont Adonis, le barde branché sur Chante France aux manières ambiguës ; Jean-Lou, le chef tyrannique mais généreux, escroc, bordélique en diable, bon vivant, gaucho par dédain du rasoir et amour des amazones ; sa meuf Yasmina, extrémiste et sensuelle à la langue bien pendue, s'il est encore possible d'utiliser cette expression sans passer pour macho ou grivois ; Etienne, le traître en puissance aux allures de beau gosse et aux propos aigris, et bien d'autres encore, romantiques, utopiques et branquignolles.

     La bande, farouchement gauchiste et joyeusement foutraque, décide de faire de la télé comme Astérix fait de la politique : sans détour, en rentrant dans le lard des romains du PAF qu'ils ont dans le pif, quand leurs querelles intestines et leurs agapes hebdomadaires leur en laissent le temps.
     
    Il est certes douteux qu'un beau jour, ou plutôt un Grand Soir, l'anarchie vaincra, mais il y a fort à parier qu'elle ne sera jamais totalement vaincue malgré la peur du désordre distillée par les héritiers spirituels de Jean-Claude Bouret (La France a peur), les reportages apologétiques sur les douaniers et les gendarmes diffusés en boucle sur W9, les 1500 CRS qui campent à Notre-Dame des Landes et le flambeau tricolore transmis sans faille ni tolérance de Nicolas S. à Manuel W. en passant par Brice H.

     Le refus de la norme ne saurait être complètement sincère sans une remise en cause de la notion de professionnalisme, c'est à dire de soumission à des règles, fussent elles techniques. Aussi les entretiens d'embauche de Télé Gaucho sont-ils des plus brefs :
     
    - T'as déjà fait de la télé ?
     
    - Non.
     
    - Alors on t'embauche.
     
    Le résultat, quoique esthétiquement discutable, est étonnant, fracassant, infantile, utopique et repose essentiellement sur trois piliers :
       1)
    Dénoncer ce qui nous emmerde à commencer par les objets débiles tels le mouche-bébé qui permet d'aspirer la morve du moutard sans avoir besoin de rajouter de sel pour masquer le goût d'huître pas fraîche ;
     
    2) Promouvoir ce qui nous émeut et nous réchauffe le cœur comme l'aspiration libre des futurs producteurs de morve dans les centres d'avortement, ou le droit à la pornographie pour les sans-abris ;
     
    3) L'expression décomplexée de toutes nos névroses telles, la peur de la réussite et le pompage consécutif des bonnes idées par les chaînes phagocytes des milliardaires du béton et de l'armement.
     
    Nul doute que la prédominance des phénomènes de succion dans la réflexion idéologique de ces anarchistes du petit écran soit révélatrice d'un sevrage incomplet débouchant sur une infantilisation permanente de leur corpus émotionnel agissant, mais force est de constater que les fondements de leur programme ressemblent à ceux de Canal + à l'époque où l'on pouvait encore les pirater au nom de la liberté du citoyen en lutte contre l'asservissement organisé du consommateur sans passer pour un dangereux asocial. C'était avant que la gauche ne rate son virage à droite, aux alentours des calendes grecques.

     C'est au sein de cette tribu d'iconoclastes impulsifs et braillards que Victor, fils de la classe moyenne et de la nouvelle vague, fait ses premières armes dans le monde de la réalité de gauche et de la soupe populaire cathodique de droite, puisqu'il cumule le bénévolat libertaire avec un job pauvrement rémunéré auprès d'une star de l'écran à rétrécir la pensée, Patricia Gabriel (du nom du studio de M. Drucker), sorte de J.L. Delarue au féminin, c'est à dire qui se met la poudre sur et non dans le nez.
     
    Parce qu'il a 20 ans et qu'un film sans amour c'est aussi fade qu'une biscotte sans confiture ou Le Dernier Tango à Paris sans beurre des Charentes, il tombe amoureux de Clara, une miss catastrophe dont la présence à la fois troublante de fragilité et pathétique d'incompétence suffit à relativiser l'importance exagérée donnée aux médias. On ne peut cependant lui en vouloir car il s'agit en fait de Sara Forestier, dont les grands yeux innocents sont des abîmes de tentation où tout homme se plairait à risquer sa vie pour le simple plaisir de rester un instant suspendu à ses lèvres avant la chute irrémédiable dans les tourments de l'amour et de la paternité.

     Tout est dit et ça n'est pas rien.
     
    Le film pose cependant en filigrane numérique la question qui pèse sur nos consciences de téléphages insoumis depuis que le retour du PS aux affaires nous met face à nos responsabilités citoyennes : une télé de gauche, voire même gauchiste, est-elle possible à l'heure où fleurissent sur les chaînes siamoises de la TNT (la Télé du Néant Total) les resucées des canaux historiques gérontophiles, épicées d'un brin de berlusconisme à paillettes aussi dégradant pour la dignité humaine que pour la santé du cortex pariétal, tandis que le service public se perd dans ses tentatives de peopolisation bienséante et que les seules émissions décapantes nous viennent de Belgique ?
     
    Evidemment, trop évidemment, non. Et ceci pour des raisons indépendantes des forces conjuguées du câpitâl (Georges, si tu nous regarde …) et des ayatollahs de l'ordre et de la pensée standardisée. En effet, selon un sondage réalisé par moi-même (gage de sérieux, d'objectivité et de compétence) auprès de deux muets, trois aveugles et des mes nombreux compagnons de schizophrénie, les principales raisons de cette impossibilité seraient un incompréhensible manque d'intérêt pour l'idée, une inappétence totale pour une mise en pratique télévisuelle de notre immense fraternité et une peur largement partagée de la liberté chez des Gaulois de plus en romanisés et de moins en moins sensibles aux joies de l'imprévu.
     
    Il est temps, donc, de dévoiler la perversité inconsciente mais réelle de Télé Gaucho, qui est de fait un hymne indirect et subliminal à la télé des communicants, celle qui a parfaitement rempli sa double mission : d'une part libérer du temps de cerveau disponible pour les annonceurs et d'autre part amalgamer les principes de la citoyenneté avec ceux de l'élevage des ovins en batterie. Oui, loin de l'innocence bon enfant qu'il revendique, ce film n'est qu'une tentative de démoralisation du peuple de gauche, une incitation à abdiquer face aux puissances technocratiques  et même à faire l'amour au lieu de le regarder avec des lunettes 3D. Ce serait une honte si ce n'était un scandale ! A moins que ce ne soit l'inverse.

     Quoiqu'il en soit, courez de toute la force de vos envies d'air pur voir ce film pour retrouver le goût acidulé du désordre créatif, la sonorité incomparable des groupes punks de quartier et la nostalgie d'un autre monde possible.
     
    Courez voir Télé Gaucho pour découvrir que pour être bien gouverné il faut parfois savoir être ingouvernable.
     
    Courez râler, tempêter et puis rire :c'est si bon quand il fait froid.

     

     Pégéo, un jour où sont nées six nouvelles chaînes
    dont pas une n'essayait d'être différente.

     

     

     

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