• Parlez-moi de vous

    Parlez-moi de vous Affiche  Parlez-moi de vous Parlez-moi de vous

     

       Une femme. Seule. Devant un micro.

      L'éclairage tamisé du studio cherche à recréer une intimité factice avec des voix sans visages.
      « Parlez-moi de vous ». La voix est chaude, elle sourit. Le sourire passe bien à l'antenne, pas le regard. Les yeux de Karin Viard sont emplis de mélancolie. Celle de l'amour immense qui se déverse en vain dans les cœurs d'à côté.

      L'héroïne s'occupe des chiens écrabouillés, des chiens abandonnés, de tous les chiens à deux pattes que la vie a maltraités, que personne n'a écoutés. Ils cherchent l'amour, une voix. Ils parlent d'eux, tout le monde les entend, tous ceux d'à côté, jamais ceux qu'il faudrait.
      « Parlez-moi de vous ». Nuit après nuit elle répète cette phrase alors qu'elle aimerait tant dire : « Ecoutez-moi. Ecoute-moi. Je t'aime. Je t'aime. Qui es-tu ? Dis-moi que tu m'aimes. »

      Raconté comme ça, c'est sûr que ça endort.

      A côté, même le bavardage insipide des clientes de la charcuterie du cimetière, à l'heure où les cercueils défilent au son de la trancheuse à jambon, sonnent avec plus de clarté, brillant d'une spiritualité joyeuse et débonnaire dont l'homme de lard profite pour leur refiler deux plaques de marbres cernées de couenne rance, mais c'est le quartier qui veut ça.
      Heureusement, en temps de crise, le pathos se vend mal, même bio. Le réalisateur le sait.

       Il change d'optique (il opte pour un Angénieux 28-76 mm à ouverture constante) et l'animatrice quitte le studio en marchant de guingois. Son dos endurci par tant de misère s'éloigne, solitaire et voûté, dans les couloirs déserts de la radio qui endort. (Avec un 24-290 mm c'eût été encore plus fort mais c'est la crise). Au bras déformé de la femme pend une bourriche pleine de lettres d'amours inachevées, de détresses incomprises et d'insultes mal torchées. Elles passeront mieux avec un Picpoul bien frais. Chez elle, la repasseuse d'âme collectionne et classe ces kleenex épistolaires tel un herbier de fleurs maudites, au fond d'un appartement trop grand, trop clair, trop propre pour accueillir vraiment ce rebut de la misère ordinaire.

      Jingle et pub : Buvez, éliminez, mouchez votre nez. Ne riez pas, elle reviendra demain. Pour l'instant, faute de mieux, elle caresse son clebs parce qu'il le vaut bien.

      Le chien, le vrai, le seul qu'elle ait vraiment trouvé, aimé, adoré, le seul dont l'amour inconditionnel soit à la hauteur de sa soif inextinguible de reconnaissance, veille, silencieux et soumis, aux portes du placard où elle s'enferme pour onaniser sans bruit sur des souvenirs qu'elle n'aura pas.
      Et oui, c'est la mode, le roquet est une star. Détenteur exclusif du cœur d'or, il est la valeur refuge d'une humanité en faillite depuis que les subprimes ont achevé de nous tondre en nous laissant à poil.

      « L'avenir de Paris est à l'Est », s'extasiait Delanoë en lorgnant sur le torse épilé de Poutine. Une fois de plus, une banlieue mal foutue viendra donc au secours des parisiens sans joie, que turlupine en vain une brise menue. Ils ignorent les plaisirs de la bière réchauffée, des chemisettes à carreaux beiges et des radios buissonnières aux accents incorrects (prononcez incorrec'). L'aventurière des ondes thérapeutiques s'y rend alors en douce faire œuvre d'enquêtrice. Suspens !
      Les âmes en miettes la gonflent : elle va s'en décharger un tombereau chez les ploucs, il n'y a pas de raison qu'elle soit seule à trinquer.

      Pierre Pinaud installe alors le classique carré Lubitschien dans une version anti-lacanienne perverse et narcissique. Le chien aime la femme, qui aime sa mère, qui aime son petit-fils adoptif, qui aime la femme, qui déteste sa mère, qui déteste l'animatrice et là ça s'embrouille, parce que le demi-frère de la femme veut coucher avec l'animatrice sans savoir que c'est la même personne, et la mère du petit-fils qui est aussi la femme du demi-frère appelle l'animatrice pour lui demander conseil et je vous jure que c'est vraiment comme ça dans le film, allez-le voir pour le croire.
      La madone du confessionnal radiophonique elle-même s'y perd.
      Elle se met à aboyer en direct, parce qu'à ce moment-là, en fait, elle pensait à son chien qu'elle a oublié de sortir avant d'aller travailler et qu'elle l'entend geindre dans son cœur gonflé d'émotions incompatibles entre elles, alors il faut que ça sorte. Ouaf, à la fin ! (Et puis c'est vrai que Karin Viard a une jolie poitrine mais c'est dans un autre film alors restons correc').

      Parlez-moi de vous vous parle de nous. A moi aussi d'ailleurs. C'est l'opéra moderne de nos cris de détresse jamais lancés au monde, de l'amour qui abandonne l'humanité, écœuré et lassé qu'elle s'inflige sans cesse des sévices assassins et s'enfonce sans fin dans ses sanglots désespérants.
      A l'instar de la mère qui cache sa honte derrière un masque à oxygène, cet amour étouffe dans nos poitrines étriquées (sauf celle de K.V. dans un autre film), nos cœurs stérilisés et nos voix hypocrites. Il a trouvé un autre maître, plus tendre et plus courageux, plus généreux et moins gourmand. C'est un cabot, un roquet, un clébard. N'importe quel toutou fera l'affaire tant qu'il ne lui manque que la parole.
      Parlez-moi de vous, c'est le déclin d'une civilisation qui ne se découvre plus au passage des cercueils, sauf à la charcuterie du cimetière, même si l'hygiène en souffre, parce que pour ces rombières, un amour, aussi mort soit-il, vaut bien qu'on le salue, c'est devenu si rare. Tant pis pour les poux qui tombent dans la cervelle en gelée, de toute façon, ce sont elles qui la mangeront : on n'est pas chez Fauchon, faites pas chier les fauchés.

      Vous ne pourrez pas voir ce film, il n'est plus à l'affiche, les marchands de bières en bois ont gagné. Alors ?

      Alors achetez le DVD ! Parlez à vos voisins ! Embrassez les vieilles tantes qui piquent et les grands-pères qui rotent ! Ecoutez vos parents avant qu'ils ne parlent à Alzheimer, vos enfants avant qu'ils ne vous méprisent, votre chien avant qu'il ne souille le tapis du salon ! Dites-leur « Parlez-moi de vous », avant que ces gens bons ne passent à la machine, celle à décerveler les hommes trop généreux et les femmes trop aimantes.

      Ah ! Mon Dieu que c'est triste. Médor vient de me quitter pour une civette abandonnée, pourtant, j'avais fait des paupiettes au ragoût funéraire.

      Ça vous ennuie si je vous parle de moi ?

     Pégéo, un jour que j'avais oublié Boris.

     

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