• Du vent dans mes mollets

    Du vent dans mes molletsDu vent dans mes molletsDu vent dans mes mollets

    Comme le signalait Henri Laborit dans l'Eloge de la Fuite, le problème c'est qu'on confie l'éducation des enfants à des adultes. Pire, ce sont en général leurs parents qui s'en chargent ! Comment s'étonner alors qu'ils ne passent le reste de leur vie à se débattre, dans un tintamarre de casseroles solidement accrochées à leurs névroses, pour exister malgré tout, entre des interdits rassurants et des désirs honteux qui ne sont même pas les leurs.
     
    Heureusement, certains ont la chance d'avoir été emmenés dès leur plus jeune âge chez la psychologue par une mère inconsciente de son propre désir de thérapie, mais qui permit ainsi à sa progéniture de valider son intuition première : « Ils sont fous ces adultes », et de dépasser ainsi le stade de la culpabilité inhérente à la sujétion à l'amour parental par un bras d'honneur libérateur, auquel leur aspect potelé confère une innocente apparence, alors qu'il s'agit bel et bien d'une révolte salutaire. Peu de parents savent d'ailleurs en tirer parti pour leur apprendre l'autonomie par le travail, la confection de tapis de soie par exemple, ou tout autre activité dans laquelle leurs doigts menus et leurs yeux perçants feront merveille.

    Ainsi, grâce à ces séances de garderie médicale, Agnès Jaoui, mère juive un peu empâtée mais pas tout à fait caricaturale, trouve-t-elle l'équilibre nécessaire à l'épanouissement de sa fille Rachel sans avoir besoin de régler son compte à sa propre mère ni de prendre un amant, un tour de force que seuls une profonde apathie et un abus de boulettes de couscous permettent de réaliser sans danger imminent pour l'entourage.
     
    Et le père dans tout ça ? Comme c'est Denis Podalydès qui l'interprète, on sait d'emblée qu'il a lui même oublié de grandir mais qu'il finira en héros d'une manière ou d'une autre parce que c'est toujours ainsi dans les livres de la bibliothèque verte dont il se dispute encore la possession avec son frère. Tandis que Rachel apprend la vie en espionnant sa maîtresse d'école dans ses ébats extra-conjugaux, il bricole chez (chez, pas dans, je vous en prie) la sublime Isabelle Carré, dont la voix à tomber par terre et le regard à transformer un cénobite en cheval fougueux lui font passer de bonnes soirées, mais sans exagération, parce que l'action se passe en 1981 et que si la rose était éclose, la couvrir de baisers demandait déjà une imagination que l'on trouve rarement chez les cuisinistes dont il - le père, suivez un peu – a embrassé la profession, faute de mieux.

    De quoi parle ce film dont les couleurs sont issues de la palette de Smoby et les clins d’œil en arrière plan semblent dus à la malice de Bruno Podalydès à son époque tintinophile ?
     
    De l'enfance ?
     
    De la résilience extraordinaire des moutards qui jamais ne sombrent dans la dépression malgré l'acharnement conjoint d'une école adepte du formatage et du gavage insipide alliée aux préceptes anti-individuation très en vogue ces derniers milliers d'années dans les familles des deux hémisphères (terrestres, pas cérébraux, une famille n'a pas de cerveau puisque c'est une cellule mononucléique) ?
     
    De l'inépuisable joie de vivre d'une progéniture encore imberbe qui ne tardera pas à devenir ingrate par nécessité, ne pouvant même soupçonner ce qu'elle a reçu, comme l'écrivait si bien Théodore Monod à ses parents ?
      De la tragédie exaltante qu'est cette période où s'entremêlent les découvertes époustouflantes, les pertes incommensurables, l'apprentissage des bêtises interdites et de la bêtise essentielle, distinction indispensable pour passer du statut d'animal libre à celui d'être humain ?

      De la difficulté à rester adulte quand les enfants s'amusent à écrire sur les murs et qu'on a oublié pourquoi on n'a plus le droit d'en faire autant ?
     
    Des poupées et divers déguisements en tant qu'objets transférentiels de traitement de la transmission des névroses parentales à caractère œdipien au fond des placards, dressings et autres recoins sombres, symboles du rassurant giron maternel en lequel tout était encore possible malgré le dérangement récurrent de papa qui déjà se sentait exclus et ne savait où se fourrer ? (Je vous en prie !)

    Non, ce film inclassable, trop cru pour être destiné aux enfants, trop tendre pour être apprécié par des adultes encore vigoureux de corps et d'esprit, est en fait une version érotique des délires de Madame Dolto quand elle attendait dans sa cuisine, un goupillon à la main et un verre dans le nez, que son mari rentre chez elle (notez le chez) tandis que son fils se faisait secouer par Orangina*, ce qui leur laissait toujours assez de temps pour mettre le couvert en toute intimité avant que la bouilloire s'échauffe et siffle le coïtus interruptus.

    Tout est dit. Dans le non-dit.
     
    De l'érotisme trouble de la maîtresse d'école en Barbie quadragénaire attirant les pures infantes qui lui sont confiées sur la voie de la consommation de la pomme, du jus de carotte, des poupées de marque aux attributs féminins surdéveloppés et autres réjouissances symboliques d'une sexualité soumise au marketing, à la fraîcheur éblouissante de pureté d'une Isabelle Carré libre et sensuelle, dont les ongles de pieds peints aux couleurs d'une prairie parsemée de pâquerettes rendraient végétarien un éleveur texan, tout ce film n'est qu'une exaltation sournoise de la vitalité charnelle  à la base de toute personnalité saine, c'est à dire de personne à en croire les psys, en dehors de quelques représentants bientôt à l'agonie de peuplades quasi éteintes car pas encore assez civilisées pour tuer pour s'amuser ou s'interdire de se faire plaisir à mains nues.

     
    La présence des deux fillettes - héroïnes étourdissantes de justesse et de drôlerie qui, hormis quelques écarts de langage qu'on aimerait bien se permettre nous aussi, restent d'une innocence acceptable même des familles les plus pudibondes des Yvelines - est certes une efficace mascarade qui pourrait tromper le spectateur un peu trop prompt, dans sa bienveillance innée, à ne voir de malice dans cette œuvre gentillette, mais en aucun cas les lecteurs avertis de ces chroniques, du moins ceux qui ont eu assez de souffle pour tenir jusqu'ici.

    Que voit-on réellement dans ce film ? Analysons cliniquement les images.
     
    Les mains se frôlent, les regards se caressent, les rideaux rouges faussement pudiques frémissent de volupté dissimulée, la pulpe d'un index féminin effleure le manche d'un fouet à Chantilly, la table de la cuisine vibre dans la vapeur d'un air surchauffé et la flûte à champagne déborde d'une mousse pétillante et sucrée.
     
    Et l'on voudrait nous faire croire que c'est un film tout public ?

    Pendant ce temps, la gamine laissée à sa solitude et ses ignorances déshabille Ken et Barbie pour voir comment c'est fait, puis finit par trouver la position idéale de ces deux-là une fois débarrassés des oripeaux qui cachent leurs différences complémentaires, face à face, nus, en train de s'engueuler, comme il sied à tout couple ayant survécu à l'épreuve du cul tourné.
      Et l'on voudrait nous faire croire que les enfants sont innocents ?
      Que nenni ! Cette œuvre dissimule sous une apparente légèreté teintée d'un soupçon de psychologie familiale une véritable apologie d'une libération outrancière des mœurs.

    Oui, ce film est une incitation à la débauche. La vraie. Celle de la vie qui submerge l'ennui, engloutit dans le rire l'étroitesse ridicule des règles de bien-séance, hypertrophie les cœurs et gorge les muscles d'un désir d'exploration, de liberté et d'envol au point de les  faire céder au vent qui souffle dans les mollets des enfants, celui-là même qui portait les semelles de Rimbaud.

    Courez voir ce film si votre mère a été trop maternelle, votre père trop bricoleur, vos instituteurs trop institutionnels ou vos vacances insuffisamment riches en batailles de gadoue.
     
    Courez voir ce film si votre enfance trop permissive vous a privé du goût acidulé de l'interdit brisé et de la fierté un peu rude d'avoir accepté la punition en serrant les dents, car sans elle votre acte eût été sans valeur et votre liberté seulement une moitié de conquête.
      Courez si vous avez oublié le picotement des fourmis dans vos jambes quand le soleil brille et que le repas dominical s'éternise.
     
    Courez sans avoir de raison, vos jambes, elles, en auront.

    Vous pouvez aussi vous aimez, c'est tout aussi efficace d'un point de vue cardiovasculaire mais un peu vieux jeu.

    Pégéo, un jour où la nostalgie pleuvait sur Paris.

     

     * Carlos chercha toute sa vie à compenser l'absence médiatique de son père par une extraversion paillarde dont les origines sont à chercher dans le tiroir de gauche de la cuisine familiale où Maman cachait ses envies secrètes.

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