• El Chino

    El Chino Affiche  El Chino El Chino

     

      La vie est absurde. Il suffit de lire les pages cinéma de l'Equipe pour s'en rendre compte.
      Les anges perdent leurs ailes et choient en bordures des aéroports. Maggie la Bouchère tente de fourguer la vache folle qu'elle cuisine en secret mais elle se trompe de date et s'embourbe dans le guano. Du coup les bovins tombent des nues et les Chinois abasourdis vont se retaper en prenant le bon air en Argentine. Sur l'écran d'à côté, Merryl Streep use ses derniers liftings à nous faire croire que la Dame d'Enfer était une lady. C'est fou.

      Tout ceci serait insensé si le hasard, sans lequel Carlos Gardel chanterait encore Toulouse, n'existait réellement.
      Sebastian Borensztein,réalisateur d'El Chino, croit au hasard. Il s'en sert pour accomplir son œuvre avec une perversité diabolique pleine d'humour. Car si l'homme est naturellement bon, force est de reconnaître qu'il ne rit que du malheur des autres.

      El Chino est un de ces anges imparfaits qui ne savent pas marcher sur l'eau et il manque de se noyer dès le début quand Dieu, toujours farceur, coule son canot avant qu'il ne pêche par la chair. Pour lui apprendre, on l'envoie étudier la vie des bêtes en Argentine et il tombe à point nommé dans un pays où il n'y a de bon rosbif que saignant.
      Le missionnaire céleste, discret jusqu'au mutisme, se contente de babiller des borborygmes incompréhensibles non sous-titrés à seul fin d'attirer la pitié. C'est très malin pour un ange. Il force ainsi les protagonistes à dévoiler leur véritable nature, on ne peut plus sombre. Il devient l'enjeu du tango endiablé que danse un couple infernal, au sein duquel l'amour bute contre l'orgueil et les passions inavouables.

      Avant que l'ange n'arrive, tout va bien puisque c'est la guerre. Les hommes rient car leur front s'élargit, les femmes pleurent car les arènes sont vides, et les enfants soupirent devant leur assiette vide car le hachis en est encore à la tranchée. Les soldats abreuvent d'un sang impur des sillons infertiles tandis que leurs compagnes font de même à la lune.

      Puis, la paix s'abat sur le champ d'honneur et chacun trace de son côté son chemin de joies solitaires. Trente ans passent.

      Sous une blouse de quincailler, l'homme, aussi atrabilaire qu'un coq hardi, abrite des œuvres d'art dont il fait le trafic. Il séduit sans le vouloir sa voisine, qui cache difficilement ses activités de spéculatrice laitière sous des lainages informes. Entre les deux amants honteux la tension monte de façon palpable car il est abstinent et elle est infidèle.

    El Chino cherche à rétablir l'amour et la sérénité en les convertissant à l'altermondialisme version mai soixante-neuf.

      Et c'est là le véritable propos du réalisateur, suppôt d'un humanisme pro-chinois plus subversif que les Confessions de Saint-Augustin, et dont la Dame d'Enfer nous aurait débarrassé d'un seul coup d'Exocet, la lèvre supérieure rigide, en ces temps regrettés où le poids de la morale se mesurait encore en livres.
      Borensztein fait partie de cette nouvelle vague de metteurs en scène adeptes de la sobriété heureuse si contraire à l'orthodoxie culturelle du FMI.
      A quoi reconnaît-on ces infâmes suborneurs de la classe moyenne occidentale qui remplit les cinémas et les caisses de la Fox ?
      Tout d'abord, ils prétendent filmer avec peu de moyens ce qui crée du chômage chez les artistes sans talents qui ne peuvent plus faire de figuration, monter des décors ou grimper aux rideaux.
      Ensuite ils usent systématiquement de couleurs fanées, de voitures à la carrosserie mate et de personnages mal coiffés. Cet esthétisme nostalgique des années '60, déjà à l’œuvre dans Le Havre, est un rejet clair des valeurs fondatrices de notre démocratie moderne, dont les lumières fluorescentes et les parures dorées s'étalent sensuellement sur les peaux satinées des femmes-objets irréelles de sexualité débordante offertes dans les pages de Voici.
      Enfin, ces gens-là n'aiment pas les chiens donc ils détestent leurs meilleurs amis. Dans El Chino, pas un cabot si ce n'est un Pékinois filmé par erreur dans l'arrière-cuisine d'un restaurant cantonnais.
      Le cinéaste sinophile est cynophobe. Tout est dit.

       L'intrigue elle-même est trop confuse pour être honnête.
      Les relations complexes entre les personnages et l'utilisation abusive d'un langage codé rendent le récit parfois difficile à suivre. Par instant, cela ressemble à l'histoire de gens ordinaires qui aident un pauvre immigré, comme dans un film de Ken Loach ou d'Aki Kaurismäki. C'est touchant mais trop réaliste pour qu'on y croit.

      Heureusement, le cinéaste assume son attirance enfantine pour les mamelles en tous genres ce qui nous fait bien rire.

      Quand il ne filme pas Muriel Santa Ana en train d'offrir à son amant une affolante poitrine, qui justifierait à elle seule qu'on reprisse les Malouines sabre au clair, c'est qu'elle papouille lascivement les pis d'une vache sous les yeux exorbités de Ricardo Darin, le regard langoureux et les lèvres carmines entrouvertes sur des félicités soixante-huitarde.

        Ah les vaches ! me direz-vous.
      Par les cornes du Diable ! répondrai-je, que sont-elles devenues ?
      Objets d'une guerre économique qui se déroule en coulisse et que les chinois gagneront car ils ont des cols Mao, elles observent tranquillement les hommes en ruminant les pensées parfumées qui fleurissent en hiver, depuis que L'Equarisseuse de Londres fouette d'autres chats en Enfer.

       La véritable tendresse du cinéaste va à ces animaux au regard grave et tendre, ces êtres au cœur pur et sincère, qui se sacrifient pour que l'homme ait la force de tirer au canon quand sa belle ne l'est plus. Devant sa caméra, leurs cils, plus longs qu'une extase tantrique, balayent amoureusement un œil humide de bonté absolue, dans lequel se reflète, parfois, lorsque les militaires s'en mêlent, le sourire incrédule d'une vierge en robe de soie verte, quand elle voit fondre sur elle les cornes assassines d'un Minotaure sans parachute.

      Comme dit sobrement Ignacio Huang qui maîtrise mieux le Mandarin que l'Alexandrin :
      Elles pleurent parfois sur l'absurdité des hommes.
      Leurs pupilles scintillent de mille éclats stellaires.
      Les étoiles qu'en séchant leurs douces larmes libèrent
      Inondent le ciel de rêves et un amour prend forme.

       El Chino n'est pas que le fantasme gourmand d'un réalisateur endoctriné. Il propose une véritable réflexion politique et pose la question de l'avenir de l'humanité à l'heure où chacun compte ses clous.

      Au-delà du machiavélisme des protagonistes, il suggère avec subtilité qu'un regard même bridé vaut bien toutes les conquêtes du monde, qu'une main tendue en dit plus qu'un discours à l'ONU, que les peintures naïves sont des armes imparables et que les forets anglais au carbure de tungstène ne seront jamais assez solides pour entamer le cœur d'or d'un quincailler argentin, aussi grincheux et solitaire soit-il.

      Courez voir ce film en V.O. La subversion sous-titrée réchauffe les cœurs, rafraîchit les idées et secoue les zygomatiques. C'est plus sain qu'un rosbif au prion.

    Pégéo, entre le gel et la débâcle.



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