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    Christian Petzold est un cinéaste nostalgique des heures douces et tranquilles, sans passion ni violence, qu'offrait la défunte autre Allemagne à ceux dont l'amour véritable pouvait se passer de liberté tant qu'il avait la paix.

     Qu'elle était agréable cette Germanie Orientale où la solitude n'existait pas !
     Quel sentiment de sécurité conféraient ces murs vieux brun ou gris souris, à l'écoute 24h/24h, d'où surgissaient, à la moindre anicroche, des secours aussi inattendus qu'infaillibles !
     Au pire, dans les bourgades les plus reculées, toujours se trouvait un voisin attentif, sinon attentionné, pour entendre vos joies et vos peines et prévenir qui de droit si celles-ci dépassaient les limites officielles au risque de vous entraîner au-delà du raisonnable.
     Quelle fraternité, quelle chaleur humaine, pour ne pas dire promiscuité rassurante se dégageait de cette société paisible et silencieuse où le voisin n'était jamais un inconnu même quand il écrivait des lettres anonymes ! Le respect de l'autre y était si grand, que rarement voiture y fut volée. Il y en avait si peu, c'est vrai, et si peu de véritable ailleurs où promener sa vraie mélancolie.

      Parfois le printemps arrivait jusqu'en Poméranie et les humains tombaient amoureux. Des côtes danoises un vent marin apportait des fragrances prometteuses qui fleuraient bon l'espace, l'aventure, l'animal déchaîné et les fruits exotiques, tout cet inconnu désirable quand on n'a pour rêver que des petites sirènes aux épaules de lutteurs. Eole ranimait l'insidieux romantisme qui gît en tout cœur germanique et se déploie en corolles alanguies et sanguines quand l'hiver fut trop long, les russes trop amollis, les polonaises sans entrain et le peuple pas plus enclin qu'un autre à la dictature et à la délation.
     Alors des infirmières acariâtres, à défaut d'être accortes, rendaient visites aux plus atteints d'entre eux, ceux dont les yeux brillaient d'une fièvre hallucinée aux seuls mots de voyage, d'ouest ou de Burlington. Elles prodiguaient, les bras gantés de latex sans saveur, de spectaculaires soins que seuls certains pervers heureusement placés, à l'imagination politiquement correcte, quoique débridée, prétendaient orgasmiques en avouant tout de même qu'ils étaient en meilleure position que bien d'autres pour en jouir.

     C'est dans ce monde disparu, de tendresse communautaire et d'amour sans secret, que le réalisateur nous entraîne avec délicatesse dans Barbara.
     C'est le printemps et ça commence comme un poème.

    Rappelle-toi Barbara
    Il pleuvait sans cesse sur l'Est ce jour-là
    Et tu étais méfiante
    Rebelle, insoumise, indépendante
    Malgré la tyrannie
    Rappelle-toi Barbara
    Il pleuvait sans cesse sur l'Est ce jour-là

     C'est triste et beau comme un interlude soviétique entre deux procès de Moscou mais la suite me rendrait impopulaire, alors restons-en là, de toute façon l'orage est passé.

     Barbara est médecin. On ne saurait donc lui en vouloir de sauver des vies même si c'est pour les remettre au bourreau.
     Lentement, presque à contre cœur, poussée par cet élan vital douloureux qui force les fleurs des rues à percer la croûte de bitume étouffant malgré la pollution, le piétinement et le mépris qu'elles savent les attendre au dehors, parce qu'il faut bien faire confiance à la vie sinon la rébellion n'est qu'une posture, lentement, Barbara cède au charme d'un docteur aux yeux clairs, à la fois trop ours et trop généreux pour inspirer la passion mais dans les bras duquel il doit être si bon de se poser enfin.
     Lui aussi sauve des vies, même celles des salauds depuis qu'ils tombent malades. Comme quoi l'ignominie ne protège pas du cancer. C'est à vous dégoûter d'être immonde que de mourir si bêtement et si jeune alors que l'Abbé Pierre finit nonagénaire sans prendre le moindre risque d'attraper la honte.

     On le sait, la liberté c'est l'art de choisir ses propres chaînes. Christian Petzold rend ici hommage au communiste productiviste qui aida si bien les ouvriers et paysans dans ce choix délicat qui préside à la vie de tout être humain, en présentant si clairement les différentes options, il est vrai tout aussi limitées que celles d'un catalogue de Trabant dont l'unique feuille résumait à elle seule l'heureuse sobriété nécessaire au véritable amour, à base d'abstinence, de résignation, de don de soi sans restriction et de sacrifice absolu de sa personne exercé dans une joyeuse souffrance qui rappelle les meilleures heures du christianisme, la flamboyance de la liturgie en moins.
     C'est en effet à cette prédilection pour les couleurs ternes, sans doute par rejet doctrinal du bling-bling capitaliste, que l'on reconnaît avant tout un pays communiste ou un film bien-pensant comme Le Havre ou El Chino par exemple.

     Car à l'instar de la taupe qu'il devient dès qu'il s'étiole à l'ouest, le communiste a la rétine fragile et hait le tape-à-l'œil. Au simple éclat d'une paillette sur le sein dénudé d'une danseuse du Lido, il voit rouge. Son orgueil mal placé se dresse dans toute la gloire de son idéologie blessée et d'autant plus rigide. Sa dignité s'enflamme contre les faux-cils des langoureuses esclaves consentantes soumises à la lubricité des caïds de la bourse qui lui reste interdite. Il en devient marteau et songe à mettre en berne le drapeau soviétique pour cacher la pudeur officielle que son corps a trahi malgré lui. Il ne lui reste plus qu'à entonner d'une voix pathétique le cantique expiatoire des victimes innocentes qui veulent bien être coupables à condition de rester entières et d'échapper au goulag.

    Qu'il est dur d'être rouge sans cesser d'être humain
    Quand les extases charnelles sont à portée de main,
    Que le regard brûlant d'une Bérénice teutonne
    Embrase une chair si faible qu'on la croyait atone.

     C'est triste et beau comme le chant du cygne de Trotsky sous le soleil de Mexico mais restons-en là, le reste n'est pas pour les enfants et appartient de toute façon au passé, sauf en Chine où le temps passe moins vite afin de pouvoir assurer des journées de 35 heures sans déroger aux conventions internationales.

     Tout est dit.
     En peu de mots.
     C'était l'art du survivre dans ce pays vaincu par tout et son contraire dans ce siècle d'horreur. Cet Est qui croyait que c'était nous les monstres, cette Europe Orientale où le silence valait bien plus que l'or, où les clepsydres comptaient en gouttes de sang. C'est le génie du cinéaste que de rendre cette absence de discours si parlante.
     Courez voir ce film pour la force du non-dit, la puissance des regards et des corps immobiles qui expriment l'indicible, le tabou, la confiance impossible et l'amour aux aguets.
     Quelle leçon de jeu, loin des têtes à ressort et du caquetage assourdissant des élèves d'Hollywood.
     Quelle belle humanité que celle qui prend le temps, fut-ce par nécessité, de se comprendre, de se sentir, de se regarder vraiment, de laisser les corps s'apprivoiser à distance pour laisser l'essentiel, cette part si fragile, si timide, si profondément enfouie de notre âme, émerger à son rythme et s'offrir en beauté, quand elle sent qu'elle sera dégustée et non pas consommée.

    Rappelle-toi Barbara
    Le vent soufflait sans cesse sur l'Est ce jour-là
    Et tu étais vivante,
    Apaisée, généreuse et souriante.


    Pégéo, alors que les beaux jours arrivent enfin,
    que ses yeux sont lumineux quand son regard est noir.

     

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