• Intouchables

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     Intouchables est une fable sur l'impunité de l'arrivisme financier.

      Contrairement aux Rougon-Macquart, dont le réalisme zolien correspondait aux paysages en noir et blanc de l'époque, les réalisateurs assument totalement leur approche par l'invraisemblance, l'impossible ou l'absurde. Un parti-pris touchant parfois à la science-fiction sociologique.
    « Ne croyez pas les faits ! » semblent-t-ils nous dire dès les premières images d'une course effrénée dans un Paris tout propre, « Attachez-vous aux symboles ! ». Dès lors, il n'y a qu'à se laisser envoûter et le véritable propos devient lumineux : Pourquoi et comment les salauds arrivent-ils à s'entendre pour arnaquer les braves gens, malgré les entourloupes qu'ils se concoctent entre eux ? 

     Les conventions du conte étant en place, tout est permis pour construire des situations extrêmes avec l'assurance que le spectateur y adhérera.

      Personne ne s'étonne donc de voir un jeune noir de banlieue au chômage (triple pléonasme), mais qui s'en tamponne l'ASSEDIC avec le bonnet parce que c'est la coutume dans son quartier, squatter subitement, et sans intervention immédiate de la BAC, un hôtel particulier du XVIème, simplement parce qu'il le vaut bien. La cruauté de l'arriviste est ici clairement soulignée par l'importance donnée à la baignoire, qui semble tout droit sortie des surplus de la rue Lauriston. D'ailleurs il roule en Maserati, la marque fétiche de Bonny. Heureusement, il est noir bien qu'à jeun, ce qui passe mal dans la Marine, c'est bien fait.

      Personne ne s'étonne non plus de voir un riche quinquagénaire acariâtre piloter par simple télépathie une voiturette de golf customisée dans son appartement transformé en circuit 24. Il y reste d'ailleurs scotché pendant tout le film, ce dont nul ne s'émeut car cet ignoble personnage cite Baudelaire (ou Verlaine, on ne sait plus, avec leurs cheveux longs ils se ressemblent tous) à tour de bras, à seule fin d'humilier ceux qui préfèrent le classicisme rabelaisien. Cet homme hait son prochain, même si son prochain est une femme. Il semble aussi ne pas piffer les chiens, remarquablement absents de cette histoire. Le cynophobe est donc misanthrope et mauditphile. Tout est dit.
    Qu'il reste donc vissé sur son trône à roulettes ! Cela lui sied, car lui aussi, il l'a bien mérité.

      Par le plus grand des hasards (ce grand catalyseur des paraboles), les logis des deux requins communiquent, ce qui facilite l'échange de jolies filles et étend le domaine de lutte. S'ensuit une compétition effrénée pour la possession de la voiture de fonction de l'aide à domicile du vieux (symbole de la rapacité insatiable des nantis), entrecoupée d'arnaques rocambolesques qu'ils montent ensemble au détriment des masses laborieuses.
      Parmi elles, l'escroquerie au faux tableau, le racket d'un apprenti boulanger, ou le chantage sur des lesbiennes à faux cils prouvent à quel point ces requins de la finance sont marteau.
     Au delà de l'invraisemblance de leur relation, l'affrontement au rasoir de ces deux âmes sombres, jalouses et torturées, nous entraîne dans les arcanes démoniaques des puissants qui nous manipulent en ricanant de notre servile pusillanimité.

     Omar Sy est incroyable de férocité perverse et de méchanceté gratuite, surtout quand il plisse les yeux parce que ça lui fait une croix satanique sur le haut du front. Jamais son visage de marbre funéraire ne sourit. Sa démarche hiératique à la limite de la raideur impressionne de dignité, de froideur et de puissance méphistophélique.
    C'est sans doute le comédien le plus angoissant de sa génération.

      François Cluzet, extraordinaire, arrive à se mouvoir par la seule force de sa pensée, et à nous émouvoir par la seule expression de son nez, sans grimacer ni bouger les oreilles.
      C'est un véritable tour de force artistique. Jusqu'ici, il n'y avait que les Inuits engoncés dans leurs Anoraks en peau d'éléphant* pour y arriver, mais ils n'ont pas le choix car par grand froid ils ne peuvent plus sortir que leur appendice nasal pour communiquer en groupe.
      Le regard glacé, le verbe haut, le menton agressif et les lèvres gercées, l'acteur distille une atmosphère maléfique qui nous prend immédiatement aux tripes. (Oh, seins doux ! a-t-on alors envie de susurrer à sa voisine, tant la chaleur maternelle nous manque).
      C'est sûrement le comédien le plus souple de sa génération.

      L'affrontement entre ces génies du mal et de l'avidité est effrayant. Il emporte tout sur son passage, y compris le pur amour de Joséphine, les rêves de voltige à plusieurs et la musique de chambre d'Alain Berlioz. Nul dans leur entourage ne peut résister. Peu importe que le petit frère tombe dans la drogue et que la fille glisse dans le stupre, leur combat se poursuivra jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'un pour déguster les langoustes au casino de Veules-les-Roses. Face à eux, même la police est impuissante bien qu'elle ne manque pas de cons pour s'entraîner. 

      Oui, cette fable particulièrement noire est celle de la finance gangrénant le monde, celle du renversement insoutenable des valeurs humanistes, de la méfiance et de la cupidité qui auront raison des être simples et pacifiques que nous sommes si les sans-culottes ne brandissent de nouveau la Justice dans toute sa rigidité. 

      La réalité est trop atroce pour être crue et c'est le four assuré si l'on n'en passe par le conte et la parabole pour ouvrir les yeux du spectateur muet depuis qu'il se prend pour un artiste. L'exercice est périlleux à l'heure de la télé-réalité mais la réussite d'Eric Toledano et Olivier Nakache est magistrale. Lorsque le cynisme confine à la farce, nous baissons naturellement la garde dans un ricanement et là, brusquement, la catharsis s'empare de nous. Nous réagissons enfin face à l'hydre spéculationniste et crions tous ensemble : Hessel ! Hessel ! Hessel !

      Le film s'appelle Intouchable et nous en sortons Indignés.
     Indignés mais joyeux ! Nous voici gonflés d'une dignité retrouvée, remplis d'espoir, de fraternité, d'amour pour la vie, l'homme, la femme et les chiens, prêts à être bons et généreux avec le premier trader venu quand le salaud part à la City.

      Et si, à la sortie, Marine est là, aspirant nos humeurs réjouies, nous n'oserons plus la toucher que notre compassion dédaigneuse et sincère. Nous lui dirons : « Relève-toi, vas voir ce film, laisse-toi prendre par les personnages et rejette la haine qui salit ta bouche. Ainsi tu comprendras que la finance appauvrit et que la différence enrichit ».

      La fable est rude mais elle le vaut bien. C'est un véritable antidote à la peur. Si vous n'avez déjà vu ce film, courez-y. Tout le monde ne peut en faire autant.

     

     Pégéo, le premier jour que le rouge-gorge a mangé de la graisse de canard.

     * Il s'agit des éléphants de mer, je vous ai bien eus, il n'y a pas de gag à cet endroit.

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