•  DiscountDiscount 
    de Louis-Julien Petit

     « Un film anarchiste, financé par le service public en plus ! » glapit un notable grassouillet au-dessus de son embonpoint bloblotant à la sortie de Discount, tout en reluquant avec une gourmandise prédatrice, l’œil humide et la langue chargée de concupiscence, les appétissantes rotondités d'une apprentie charcutière boudinée dans ses collants résille comme une paupiette mal fagotée. Aux âmes libidineuses, la malbouffe n'attend pas le nombre des années !
    La rencontre incongrue de l'arrogante lippe réactionnaire et du tendre minou, pardon minois, inquiet de sa mise en vitrine, a lieu sous la statue de Danton. Au-dessus de la tête choucroutée de laque et de celle dégarnie du veau sans cervelle, s'étale, gravée dans la pierre, une pensée de l'audacieux tribun : Après le pain, l'éducation est le premier besoin du peuple. Dans les deux cas, il y a du boulot !
     

    C'est tout le propos de Discount qui démontre avec une drôlerie non dénuée d'amertume, comme le sont les vrais clowns, que l'une ne va pas sans l'autre. Les oubliés de l'instruction publique resteront à jamais affamés et vice versa. Et c'est sans doute un manque d'interrogation écrite sur la signification profonde du triptyque républicain qui alimente le cynisme des néo-esclavagistes de la grande distribution, ces magnifiques souteneurs d'un sous-prolétariat en pleine expansion qui s'agglutine, toute honte bue mais le ventre encore creux, autour des poubelles débordantes d'invendus alléchants des palaces de tôles, là où se servent les protagonistes de Discount.
    Menacés par l'arrivée de caisses automatiques non-syndiquées, non-grévistes, non-humaines et peu regardantes sur les horaires tant qu'elles ont des puces dans le cerveau, les futurs licenciés es chômage d'un supermarché d'une zone sinistrée qu'on imagine en Picardie, Pas-de-Calais, Lorraine ou toute autre région pauvre en étoiles et riche en suicides, décident d'ouvrir une épicerie solidaire et clandestine où sont revendus à prix cassés les surplus qu'ils détournent en joignant un pourcentage de frais aux produits périmés qu'ils ont mission de détruire.
    Oui, c'est du vol, les nécessiteux qui s'y fournissent sont des receleurs et la baderne outrée du premier paragraphe avait raison de s'offusquer que l'auteur transformasse en héros ces déviants de la société de consommation, qui finiront par s'enrichir sur le dos des capitalistes si on les laisse faire.

     Le nom de solidarité a beau remplacer celui de fraternité, trop maçonnique pour certains, libertaire pour d'autres ou rappelant avec cynisme celui de la gare de Rungis, ce temple du cholestérol, il n'en reste pas moins entaché de l'ignominieuse idée de partage qui terrorise les financiers, file la colique aux spéculateurs et rebutait le PS bien avant que Manu n'aille danser le French Cancan pour les entubateurs de la City.

     Tout est dit.

     Prenant parti pour ces prolos malhonnêtes (on frise le pléonasme), dont le discours à base de résistance citoyenne, d'activisme ouvrier et d'illégalisme légitime à la Robin des Bois masque mal l'immoralité, le cinéaste glorifie la piraterie zonarde, fustige la saine gestion des RH recommandée par le même Manu faisant la danse du ventre à Pékin au profit du profit, et se gausse des anglicismes bas de gamme des pros du merchandising agressif sans lesquels, ingrat qu'il est, il n'aurait jamais ni goûté au tarama à l'huile de vidange, ni trouvé si complaisante manière de s'insurger à bon compte du capitalisme consumériste. Comme si la France avait besoin d'un Ken Loach franchouillard en plus de Mélenchon !
    C'est facile d'être un preux quand on n'aime pas le caviar et ignore le velours d'un Romanée-Conti 1999 pour lequel n'importe quel être un tant soit peu éduqué - voir Danton pour le programme - vendrait son âme à Dieu ou licencierait toute une administration, celle du fisc par exemple.

    Comble de l’infamie, l'auteur ose transformer la magnifique, troublante, éblouissante, sensuelle et pour tout dire excitante Zabou Breitman en une insupportable arriviste totalement soumise au système au point de sacrifier sa libido, et dont la seule pointe d'humanité réside dans son aversion pour la copulation assistée par ordinateur, surtout avec les losers qui surfent sur leur mâle fragilité pour draguer les frustrées au ventre plat et au cœur sec. Quel gâchis ! Autant lyophiliser la poitrine de Sophie Marceau ou les cuisses de Bérénice Béjo !

     Au final la morale bourgeoise sort vainqueur et les notaires repus sont contents de s'être fait peur à peu de frais. Au sortir du film, encore tout frissonnant d'émois avantageux, ils imaginent à leur tour des stratagèmes illicites pour conforter leurs privilèges et déboulonner nuitamment cette statue de Danton, symbole d'idées trop subversives pour être étalées au regard mal comprenant de la populace grossière qui hante le Quartier Latin et pourrait choquer les touristes chinois qui viennent volontairement y dépenser le produit des délocalisations réussies du CAC 40.

     Courez voir Discount si votre faim dépasse la fadeur du jambon aqueux et du plâtre normand.
    Courez sculpter vos idéaux républicains et transposer au XXIème siècle vos cours d'histoire.
    Courez rafraîchir votre soif de Liberté, Egalité, Fraternité au regard souriant de naïveté et de courage des détrousseurs d'escrocs, moins effrayés par la prison que par l'injustice.

     Pégéo, un mois après l'horreur qui n'efface pas les rêves.

     

     

     

     

     


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  •  Le Sel de la TerreLe Sel de la Terre
    de Wim Wenders et
    Juliano Ribeiro Salgado.

     

    Il y a un homme.
    Il pose sur le monde un regard de bonté. Infatigable. Un regard de beauté.
    Il y a la dictature au Brésil, l'exode à Paris. La découverte de la photographie, par hasard.
    Il y a les premiers hommes qu'il photographie. Les hommes premiers, ceux de Papouasie et ceux d'Amazonie.
    Ensuite il y a les hommes du Sahel, d'Ethiopie, du Rwanda, du Congo, que d'autres hommes chassent, pillent, tuent, massacrent.

     Et le regard de bonté, de beauté, reste, quoi qu'il arrive, quelles que soient les atrocités.

     Le regard. L'amour. La photo. La photo magnifique, en noir et blanc. Profonde, détaillée, tailladée, incrustée de rudesse et de douceur entremêlées. Toujours aimante.
    Les photos sont belles. Toutes. Malgré l'horreur.
    Elles se doivent d'être belles.
    C'est une marque de respect, une reconnaissance, souvent la dernière, pour ces êtres humains, ces autres membres de cette espèce à nulle autre pareille, dont chaque individu est capable de la pire cruauté et de la plus grande générosité.
    C'est un hommage, souvent le dernier, rendu à tous les anonymes, victimes des barbares qu'on ne voit jamais.
    C'est un témoignage, souvent le seul, de leur dignité, de leur humanité jusqu'au bout de l'enfer.
    Et les photos doivent être belles, immensément, le cadre parfait, la lumière ciselée, pour qu'on les regarde, pour qu'on regarde ces femmes, ces enfants, ces hommes au moins une fois comme des êtres humains, comme nos frères.

     Alors Sebastião Salgado photographie, souffre, reste, écoute, photographie, reste, reste quoi qu'il arrive, quoi qu'il voie, pour que le reste du monde aussi voie les corps, les visages, les êtres vivants ou morts avant qu'on les oublie. Il parcourt le monde voit, enregistre, rapporte, des décennies durant, avec toujours la même bonté dans le regard.

     Et puis un jour, le photographe s'écroule. Les yeux brûlés par trop de souffrance, il meurt à son tour, pour que l'homme, le père, l'être humain en lui survive.
    Il retourne sur la terre de ses ancêtres, au milieu des prairies desséchées et de la forêt brésilienne dévastée, peu importe, mais loin des hommes et du bruit.
    Il se souvient de cet ouvrage sur la main, la main ouvrière qui fait, construit, bâtit, imagine, crée, sauve, fait des merveilles et puis détruit aussi. Il regarde ces photos vieilles de dix ans qui lui ont procuré tant de plaisir lorsqu'il les prit.

     Il y a un homme.
    Que la terre va reconstruire. Qui va reconstruire la terre.
    Il y a une femme, une famille, qui se mettent à l'ouvrage et le tire de sa mort.
    Ils replantent la forêt tropicale, des millions d'arbres qui peinent à repartir sur les sols appauvris. Des années de travail, d'échecs, d'apprentissage, de patience, d'intelligence.
    Là où la déforestation, la sécheresse, les activités humaines n'avaient laissé qu'une terre stérile, repoussent des centaines d'espèces végétales. Les insectes reviennent, les oiseaux aussi et même le jaguar.

     L'homme est âgé. Son fils est devenu un homme à son tour. Ensemble ils parcourent à nouveau le monde, ils apprennent à photographier la nature, les animaux, les paysages. C'est un autre métier, une autre forme d'attente, un autre travail de la lumière. Mais c'est toujours le même regard, la même bonté, le même amour. La même beauté.
    Ils découvrent qu'il est encore temps, qu'il y a toujours, sur cette terre malmenée, des réserves de vie capables de foisonner.
    Wim Wenders filme Sebastião Salgado, saisit l'instant où la photo se fait et le regard du photographe. Ses mots aussi.
    Et puis ils parlent, ces deux hommes de l'image, de ce qui les émeut tant : ces êtres qui traversent leur viseur pacifique.
    Ils parlent. Les accents sont différents, presque opposés. La rugosité de l'Allemand et la rondeur du Brésilien se répondent. Mais ils parlent bien, lentement, avec force et passion, dans ce français magnifique qui les unit.

     C'est un vrai film, un vrai bonheur. Malgré la dureté de certaines images, de certaines histoires, de la réalité qui ravage le monde.
    On pleure, on rit, on sourit, on enrage, on s'enflamme, on finit par comprendre ce que c'est qu'aimer.
    Aimer les hommes, qui sont le sel de la Terre.

     Pégéo, trop ému pour faire le malin.

     

     

     

     

     


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  • MommyMommy 
    de Xavier Dolan

     

     Ce film fera date. Grâce à lui, la psychiatrie néo-conservatrice va pouvoir sortir du ghetto où la confinaient les larmoyants détenteurs de l'idéologie compassionnelle et permissive qui domine le monde médical depuis l'avènement de l'accouchement sans douleur.
    L'ingrat et courageux travail de sape opéré en secret par les idéalistes réactionnaires du SDEC - Syndicat de Défense de l'Electrochoc et de la Camisole – s'avère enfin payant. Ce film éblouissant de clarté pédagogique, qui révèle avec brio le désastre économique, moral et humain des méthodes douces, vient à point nommé pour soutenir les réformes en cours dans les pays civilisés, ceux qui ont le courage de reconnaître que l'homme préfère l'ordre à la liberté.

     L'amour ne sert à rien.
    Tout est dit, dès le début, à travers cette réplique qui résume sans détour le propos à l'attention des mal-comprenants dénués d'humour, comme on en trouve beaucoup dans les facs de gauche ou à la terrasse du Café de Flore, bien cachés derrière les pages déployées du Canard Enchaîné avec la lâcheté inhérente aux pacifistes, aux cyniques et autres anarchistes inavoués.
    L'amour ne sert à rien, affirme la matrone en chef de la fourrière pour ados turbulents à laquelle Steve a voulu mettre le feu. C'est un véritable soulagement de voir une telle franchise, si rare au cinéma, illuminer son regard de cerbère bouffi malgré la grimace éloquente qui donne à son visage ingrat un air de cervelas périmé. Au moins, se dit-on, elle sait de quoi elle parle.
    Puis, elle rend le pyromane à sa mère en ricanant de son double menton gélifié car elle connaît la fin de l'histoire.

    Steve, adolescent débile et agressif (double pléonasme) souffre de TDAH – Trouble de Déficit de l'Attention avec Hyperactivité – c'est à dire qu'il est à jamais perdu pour la société sauf à utiliser ses trépignements pour faire de l'électricité comme le proposent certaines discothèques aux épileptiques fans de techno.

    Le jeune réalisateur se livre alors à une brillante démonstration par l'absurde des illusions doucereuses dans lesquelles nous ont entraînés les thérapeutes embrumés de 68 avec des concepts irréalistes tels que l'empathie, l'affection, la thérapie émotionnelle, ou, cerise sur le gâteau, l'amour maternel.
    Même ce déconstructiviste patenté de Laborit l'a reconnu : l'amour n'est que l'entretien d'une relation gratifiante. Et franchement, il n'y a rien de gratifiant à côtoyer chaque jour le fruit détraqué de ses entrailles, qui ne pouvaient être qu'impures pour fabriquer une telle catastrophe.

    L'idée géniale de Xavier Dolan, est de nous faire partager le nécessaire chemin de croix de la mère vers la raison avec humour, cocasserie et une maîtrise du burlesque qui n'est pas sans rappeler les meilleurs pages de Kafka.
    Ainsi le personnage de la voisine est caractéristique de l'ironie un brin sarcastique dont il fait preuve : Steve ne sait pas écouter, elle ne sait pas parler, ils sont fait pour s'entendre. Leur relation ne sera cependant d'aucun secours.

    Tout est dit, une deuxième fois.
    Toute la féminité du monde ne saurait venir à bout de la possessivité agressive de ce monstre d'égoïsme. Bien au contraire, elle ne fait que l'exacerber. Ce qu'il faut c'est une poigne virile, ferme, sévère et juste. Le réalisateur nous fait comprendre avec une grande délicatesse à quel point l'absence du père et le rejet implicite de toute présence masculine, aussi bien par Steve que les femmes qui l'entourent, sont à la base de la dérive de l'adolescent, tant il est vrai que seul un modèle de force, de stabilité et de solidité, qualités inhérentes aux mâles, est capable de faire de l'enfant égoïste un homme responsable, respectable et utile. Ah ! Si seulement on avait plus écouté Abraham que Dolto !

    Certes, l'accent québécois, particulièrement dans la version prolétarienne quasi incompréhensible de la mère, et les jurons surannés des protagonistes, peuvent passer pour une caricature excessive d'une société qui s'abandonne à la facilité, mais une fois ce désagrément accepté, il reste la remarquable narration d'une débâcle annoncée qui retentit comme un cri d'alarme.

    N'encombrez pas les cinglés de votre amour, ils ont suffisamment de problèmes comme ça sans devoir en plus porter le poids de vos projections parentales doublé de celui de vos illusions : ils ne guériront pas et vous y laisserez votre santé.
    Si vous aimez vos enfants, confiez-les à des éducateurs professionnels, qui mieux que vous, sauront les entourer de la fermeté nécessaire pour en faire des citoyens utiles, responsables et obéissants, sans les embarrasser d'une tendresse parasite qui les poussent à se croire uniques alors qu'ils ne sont que spéciaux.

    A noter le choix judicieux de placer l'action dans un milieu social en pleine déliquescence, la classe moyenne inférieure et son oisiveté pudiquement nommée chômage. La permissivité qui la caractérise est en effet un facteur aggravant sinon déclencheur de cette maladie. Jamais un fils de bonne famille n'aurait ainsi pu nuire à la société pour une raison très simple : on l'aurait caché.

    Ce jeune réalisateur a du talent, trop parfois. On pourrait croire un instant qu'il prend parti pour la prise en charge douce et aimante de l'adolescent tant il filme avec justesse la tendresse et le lien fusionnel qui unissent la mère et le fils, tant il dépeint avec subtilité la codépendance bénéfique et ambiguë qui s'installe entre Steve et la voisine. Il s'en faut de peu qu'on n'espère un happy end, ce qui serait un comble. Heureusement, quelque scènes de violence secouent le sentimentalisme menaçant avant qu'on y succombe et la fin tragique vient nous rassurer sur les intentions et la moralité sans tâche de l'auteur.

    Courez voir ce film avant que ne passent effectivement les lois qui pourraient transformer ce cauchemar en réalité.
    Courez vous régaler du jeu époustouflant de Antoine-Olivier Pilon, à la fois charmant, pervers et violent, et qu'on ne peut s'empêcher d'aimer.
    Courez voir Mommy, son courage et sa force de vie surhumaine.

    C'est vrai. L'amour ne sert à rien. C'est ce qui le rend indispensable.

     Pégéo, un jour de plus où les gens raisonnables nous font peur.


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    Near Death ExperienceNear Death Experience 
    de Gustave Kervern et Benoît Delépine

     

    Avec sa lippe proéminente, sa coupe de cheveux approximative et ses frêles épaules, Paul, alias Michel Houellebecq, a l'allure typique des ratés qui se multiplient à l'ombre des hypermarchés de banlieue, sous les néons des centres d'appel ou dans l'insalubrité des rames de métro aux heures de pointe. Un homme ordinaire. Laid, vide, frustré. Sensible. Qui aurait aimé aimer. Aimer être lui-même. Pouvoir être lui-même, sans la pression de la normalité, des objectifs, de la performance. Il a la beauté fragile des êtres surnuméraires issus d'une erreur administrative.
    La navrante banalité de son inexistence, que seule la mort pourrait encore égayer, a l'aspect rassurant des scenarii prévisibles de Lelouch ou des lotissements uniformes pour contribuables bêlants qui encerclent les ronds-points paysagers de leur laideur réglementaire.
    Une fois atteint un néant d'une telle profondeur, il faut choisir : boire ou pleurer avant de mourir. A en juger par le gonflement de ses cernes, Paul a longuement testé chaque option, mu par cette unique qualité tant appréciée des esclavagistes modernes, la conscience professionnelle, et soutenu dans ses expériences de pérennisation de l'absurde par une de ces familles criardes, téléphages et mal-bouffantes qui colonisent le pays de Voltaire de leur indigence culturelle.

     Dieu ! Qu'il est désopilant de ne savoir être seul au point de faire des enfants dans l'unique but de justifier la prolongation consumériste d'une existence sans intérêt, que la médecine s'acharne avec sadisme à conserver malgré le coût exorbitant des souffrances sans joie qu'infligent les partisans du gériatrisme pour tous ! On en mourrait de rire si seulement on nous laissait faire.

    Heureusement, Paul a deux passions, l'alcool et les cigarettes, dont les efforts conjugués devraient l'aider à ne souffrir que brièvement d'une retraite à venir aussi chargée en rebondissements qu'un encéphalogramme de lombric en pleine dépression. Qui plus est, il pédale en short et maillot moulants pour ressembler à rien, comme tout le monde, ce qui démontre un effort d'adaptation louable à l'inesthétisme fonctionnel d'une société sur le déclin plaçant la paix au-dessus de la liberté.
    Comme tous les cyclistes, il boit beaucoup et comme nombre de buveurs il fait du vélo pour éliminer son cholestérol, ce qui prouve à quel point la nature humaine est cohérente dans l'entretien de ses contradictions.
    Empli de la sagesse mâtinée de veulerie des quinquas effacés, l'héroïque gringalet fuit l'absurdité agressive de sa vie en pédalant son dégoût souffreteux dans les collines provençales malgré la maigreur de ses jambes et la médiocrité symbolique de son souffle.

    Tout est dit.
    L'homme qui n'est pas un lion est un mollusque. Et quand ces derniers se hissent péniblement sur des sommets arides, c'est pour s'offrir un dernier shoot d'endorphine avant d'abandonner l'étroitesse de leur coquille anonyme au milieu d'un chaos calcaire où elle pourra se recycler sans bruit.
    Paul abandonne son vélo, son briquet et ses clés, les trois piliers de l'homme moderne, symboles de la mobilité augmentée, du confort et de la sécurité, pour un parcours initiatique ante-mortem à travers la garrigue désolée qui surplombe la ville de son arrogante sécheresse.
    Ah ! Que l'homme est digne dans son dénuement quand il renonce à la lâcheté et décide de faire la nique à son cancer, son percepteur, son chef, sa femme, ses enfants, tous les tyrans et les parasites qui rabaissent l'homme, le vrai, le solitaire, l'anarchiste conquérant, au rang de l'utilitaire forcené dont la parcelle divine s'est évanouie à sa première signature au bas d'un chèque ou d'un contrat.

    Oui, malgré ses doigts jaunis aux ongles sales, sa peau tavelée, sa tignasse suintante et ses yeux vitreux, malgré ses mollets rachitiques et sa démarche raidie, Michel Houellebecq est beau comme un martyr qui sourit au bourreau.
    Malgré les ravages cérébraux inhérents à vingt ans de service clientèle chez France Télécom, un reste d'âme, de tendresse, d'humanité surgit encore de ce corps déglingué à l'approche de sa fin et l'on se prend à aimer sa fragilité, son abandon, sa désespérance, toutes ces valeurs romantico-destructives qui mèneront la civilisation occidentale à sa perte si Poutine ne nous envahit pas à temps pour éradiquer la sensiblerie de notre société efféminée.

    Et c'est bien là le piège !
    Méfions-nous de l'excessive tendresse que nous inspire le personnage. La tentation de le suivre sur la voie du suicide contestataire est proche. Elle fait partie de l'entreprise de déconstruction sociale des réalisateurs qui, leur âme félonne s'assombrissant au fur et à mesure que leurs cheveux blanchissent, sont passés de la critique joyeuse, voire loufoque de Mamuth et Louise-Michel à l'apologie de l'extinction volontaire après avoir acté de l'échec de la rébellion punk dans Le Grand Soir.
    Ce style de cinéma ne peut que nuire au redressement économique et moral du pays. Il faut sinon le censurer, du moins le stigmatiser d'un grand Z, pendant politique du X de la pornographie, car ce genre d'épanchement socio-dépressif est de fait de la pornographie sociologique dont la consommation devrait être réservée au divertissement de l'élite dirigeante, la seule suffisamment ancrée dans ses certitudes pour savoir en rire sans se laisser influencer.
    Dénonçons ici ces apôtres d'une liberté excessive, d'une liberté sans bornes, d'une liberté tout court, qui met en péril les fondements mêmes de toute société efficace, productive et pérenne : la famille, le travail, la soumission volontaire à l'autorité et l'attrait pour la souffrance. Quand on n'a pas choisi sa vie, on n'a pas le droit de choisir sa mort. Le suicide doit rester le privilège des forts, sinon la religion et la politique perdent tout sens. Et après, qui va payer les jetons de présences des actionnaires ?

    Certes l'anti-héros neurasthénique finit par mourir, prouvant ainsi dans un paradoxe plein d'humour la validité du management par objectif qu'il rejette, mais c'est presque par accident et ça laisse dans la bouche du spectateur productiviste le goût d'inachevé des licenciements mal organisés. Il est d'ailleurs douteux que les auteurs aient ainsi reconnu la nécessité pour toute société forte et viable de se débarrasser des individus obsolètes mais au moins, cela constitue un happy end d'un point de vue libéral et l'on ne peut que ce réjouir de cet éclair de clairvoyance final, fut-il involontaire. Certes, terminer sur un poème de Baudelaire est une faute de goût, mais soyons tolérants quand il y a prescription.

    Courez voir ce film, pour le jeu tout en retenue de Michel Houellebecq et son émouvante mise à nu qui, l'air de rien, prend aux tripes même les plus excités de l'hypercroissance.
    Courez vous délecter des textes extraordinaires de précision, de simplicité et de justesse qu'il dit en voix off, dont chaque syllabe fait mouche sans lyrisme ni pathos.
    Courez à ses côtés jusqu'aux dernières lignes tirées de Spleen et Idéal pour voir combien de souffle il vous reste, à vous, pour rattraper vos rêves avant de basculer dans le grand trou.
    C'est si fort un rideau qui tombe sur des illusions.

     Pégéo, alors que l'été souriait enfin,
    juste avant de s'éteindre.


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    Deux jours, une nuitDeux jours une nuit
    de Jean-Pierre et Luc Dardenne

     Enfin un film qui remet les choses dans l'ordre ou plutôt de l'ordre dans les choses ! Chacun sa place et sus aux chinois, comme on disait dans les claques d'Indochine. Les chômeurs au chômage, les désespérés au fond du trou, les travailleurs à la chaîne - travaillant plus pour perdre moins - et les patrons, contremaîtres et autres piliers de la stabilité sociale aux commandes du troupeau des quémandeurs d'emploi, de salaire, de primes, de prestations sociales et autres dividendes éhontés de leur sueur surévaluée en dépit de leur manque total d'esprit d'entreprise.

     Enfin un conte moral et éducatif qui aborde sans préjugé moralisateur les arbitrages douloureux qui sont le lot quotidien des chefs d'entreprise soucieux de choyer leurs employés assoiffés de technologie aliénante, de congés payés au rabais dans les paradis esclavagistes (parce que c'est tellement bon d'être un bourreau une fois par an), tout en réclamant des augmentations indécentes et conspuant la concurrence déloyale des prolétaires plus mal-lotis qu'eux, grâce auxquels ils téléphonent sans limite et sans fil pour le prix d'une place de théâtre, où ils ne vont jamais d'ailleurs.

     Par Saint Gataz, patron des patrons de père en fils ! Que ce film est jubilatoire à qui sait apprécier les contradictions dans lesquelles aime à se vautrer la plèbe au point d'étancher sa soif d'injustice dans la consommation dominicale, obligeant les plus pauvres d'entre eux à se damner au travail au lieu de prendre soin de leur âme par l'adoration soumise de la torture du fils de Marie. (Pour le père, les historiens hésitent entre un obscur charpentier victime d'un recensement abusif et un adepte facétieux de la PMA surprise.)

     Dieu, que de réjouissante fraîcheur patronale dans cette ironique chronique de la cupidité ouvrière !
    Que de joyeuse dérision dans la peinture des tergiversations pseudo-morales des assujettis congénitaux face à l'incompatibilité de leurs aspirations profondes avec leurs valeurs égalitaristes. Comme c'est drôle un prolo avec un cas de conscience au-dessus de ses moyens !

     Il était temps. L'influence déplorable des films anticapitalistes - y compris aux USA où Mat Damon combat les gaz de schiste* - se fait de plus en plus sentir chez les décideurs politiques depuis que Depardieu et DSK sont passés à l'Est, seul refuge de la pensée ultra-libérale menacée par la dérive humaniste de Wall Street.

     Pourtant, ça commence mal. Dumont, patron d'une PME écolo, dans une louable tentative de responsabilisation démocratique de ses employés, leur laisse le choix entre une prime bien méritée et le maintien à son poste d'une dépressive improductive et pleurnicharde vivant de ce fait à leurs crochets. Sans la pointe d'humour goguenard marqué par l'invraisemblance même de la situation (comme s'il était besoin de donner une prime à ceux qui restent pour qu'ils acceptent le licenciement d'un canard boiteux !), on pourrait croire à un dangereux plaidoyer pour l'auto-gestion.
    Heureusement les talentueux frères Dardenne manient l'ironie avec brio et lancent l'héroïne dans une tournée de la médiocrité prolétarienne qu'ils dépeignent avec la pudeur nécessaire pour ne pas froisser les masses tumultueuses souvent inaccessibles au second degré.

    Armée de son sourire pitoyable, de ses yeux cernés et d'un tube de Xanax pour famille nombreuse, Sandra parcourt les profondeurs suburbaines de la Wallonie post-industrielle pour implorer ses futurs ex-collègues de renoncer à leur terrasse à barbecue ou aux études de la petite afin qu'elle puisse égoïstement continuer son existence surnuméraire. Comme c'est drôle une simple d'esprit qui croit à la bonté humaine !

    Tout est dit.
    Le film dénonce avec justesse l'habituel chantage affectif des geignards et assistés professionnels qui encombrent les stages de reconversion permanente et empêchent les honnêtes travailleurs de faire fructifier le patrimoine des élites dans l'allégresse naïve des joueurs de lotos.
    Le chemin de croix de la mendiante aux yeux creux est en fait le prétexte à une description quasi clinique et à peine caricaturale des masses laborieuses (nul besoin de forcer le trait pour mettre en lumière l'absurdité pathétique des pauvres), qui hantent les centres commerciaux délabrés à la recherche des sardines en promotion au lieu de se goinfrer des petits fours offerts dans n'importe quel vernissage d'art contemporain du Faubourg Saint-Germain.
    Cette réjouissante galerie de portraits comprend entre autres un vététiste hargneux, un balourd gentillet,un arabe qui travaille au noir, un noir (pas le même) accro aux allocs, une jolie fille égoïste, une future divorcée irresponsable, un footballeur larmoyant et maigrichon ; autant d'archétypes populaires grotesques empreints de réalisme, qui pourraient faire passer cette comédie loufoque pour un documentaire sociologique sans la dérision à la limite du cynisme dont font preuve les auteurs, toujours à l'affût du moindre gag, comme par exemple la tentative de suicide aux anxiolytiques … sans alcool !
    Comme c'est drôle (et cruel!) l'ignorance d'une victime qui se débat !
    C'est délicieux comme un orage de grêle sur un défilé du 1er mai.

    Nul doute que même les classes moyennes et certains ouvriers non communistes ne prennent plaisir à ce joyeux pamphlet pour la défense de la compétition naturelle entre les individus et le maintient du droit à la rémunération subjective, sans lequel aucun patron ne peut réellement se distraire. 

    Courez voir Deux jours, une nuit, vous y apprendrez l'art de manipuler les prolétaires en s'amusant mieux qu'à HEC.
    Courez voir ce film pour découvrir avec stupeur que les ouvriers sont des gens comme vous et moi, ni pire ni meilleurs, ce qui renforcera votre hygiénique désintérêt pour la mixité sociale.
    Courez voir cet ode à la dignité, simplement parce que c'est une superbe histoire de courage et d'amour, qui donne envie de vivre malgré l'injustice et la bêtise qui servent de principes salvateurs à ceux qu'on nomment consommateurs.

    Pégéo, un jour de grève comme un autre.

     * Promised Land de Gus Van Sant : bluette écolo et malsaine (pléonasme) qui présente comme un héros un traître aux intérêts de son employeur pour des raisons morales et sanitaires incompatibles avec les notions de progrès et d'enrichissement : écœurant !


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