•  Le Sel de la TerreLe Sel de la Terre
    de Wim Wenders et
    Juliano Ribeiro Salgado.

     

    Il y a un homme.
    Il pose sur le monde un regard de bonté. Infatigable. Un regard de beauté.
    Il y a la dictature au Brésil, l'exode à Paris. La découverte de la photographie, par hasard.
    Il y a les premiers hommes qu'il photographie. Les hommes premiers, ceux de Papouasie et ceux d'Amazonie.
    Ensuite il y a les hommes du Sahel, d'Ethiopie, du Rwanda, du Congo, que d'autres hommes chassent, pillent, tuent, massacrent.

     Et le regard de bonté, de beauté, reste, quoi qu'il arrive, quelles que soient les atrocités.

     Le regard. L'amour. La photo. La photo magnifique, en noir et blanc. Profonde, détaillée, tailladée, incrustée de rudesse et de douceur entremêlées. Toujours aimante.
    Les photos sont belles. Toutes. Malgré l'horreur.
    Elles se doivent d'être belles.
    C'est une marque de respect, une reconnaissance, souvent la dernière, pour ces êtres humains, ces autres membres de cette espèce à nulle autre pareille, dont chaque individu est capable de la pire cruauté et de la plus grande générosité.
    C'est un hommage, souvent le dernier, rendu à tous les anonymes, victimes des barbares qu'on ne voit jamais.
    C'est un témoignage, souvent le seul, de leur dignité, de leur humanité jusqu'au bout de l'enfer.
    Et les photos doivent être belles, immensément, le cadre parfait, la lumière ciselée, pour qu'on les regarde, pour qu'on regarde ces femmes, ces enfants, ces hommes au moins une fois comme des êtres humains, comme nos frères.

     Alors Sebastião Salgado photographie, souffre, reste, écoute, photographie, reste, reste quoi qu'il arrive, quoi qu'il voie, pour que le reste du monde aussi voie les corps, les visages, les êtres vivants ou morts avant qu'on les oublie. Il parcourt le monde voit, enregistre, rapporte, des décennies durant, avec toujours la même bonté dans le regard.

     Et puis un jour, le photographe s'écroule. Les yeux brûlés par trop de souffrance, il meurt à son tour, pour que l'homme, le père, l'être humain en lui survive.
    Il retourne sur la terre de ses ancêtres, au milieu des prairies desséchées et de la forêt brésilienne dévastée, peu importe, mais loin des hommes et du bruit.
    Il se souvient de cet ouvrage sur la main, la main ouvrière qui fait, construit, bâtit, imagine, crée, sauve, fait des merveilles et puis détruit aussi. Il regarde ces photos vieilles de dix ans qui lui ont procuré tant de plaisir lorsqu'il les prit.

     Il y a un homme.
    Que la terre va reconstruire. Qui va reconstruire la terre.
    Il y a une femme, une famille, qui se mettent à l'ouvrage et le tire de sa mort.
    Ils replantent la forêt tropicale, des millions d'arbres qui peinent à repartir sur les sols appauvris. Des années de travail, d'échecs, d'apprentissage, de patience, d'intelligence.
    Là où la déforestation, la sécheresse, les activités humaines n'avaient laissé qu'une terre stérile, repoussent des centaines d'espèces végétales. Les insectes reviennent, les oiseaux aussi et même le jaguar.

     L'homme est âgé. Son fils est devenu un homme à son tour. Ensemble ils parcourent à nouveau le monde, ils apprennent à photographier la nature, les animaux, les paysages. C'est un autre métier, une autre forme d'attente, un autre travail de la lumière. Mais c'est toujours le même regard, la même bonté, le même amour. La même beauté.
    Ils découvrent qu'il est encore temps, qu'il y a toujours, sur cette terre malmenée, des réserves de vie capables de foisonner.
    Wim Wenders filme Sebastião Salgado, saisit l'instant où la photo se fait et le regard du photographe. Ses mots aussi.
    Et puis ils parlent, ces deux hommes de l'image, de ce qui les émeut tant : ces êtres qui traversent leur viseur pacifique.
    Ils parlent. Les accents sont différents, presque opposés. La rugosité de l'Allemand et la rondeur du Brésilien se répondent. Mais ils parlent bien, lentement, avec force et passion, dans ce français magnifique qui les unit.

     C'est un vrai film, un vrai bonheur. Malgré la dureté de certaines images, de certaines histoires, de la réalité qui ravage le monde.
    On pleure, on rit, on sourit, on enrage, on s'enflamme, on finit par comprendre ce que c'est qu'aimer.
    Aimer les hommes, qui sont le sel de la Terre.

     Pégéo, trop ému pour faire le malin.

     

     

     

     

     


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  • MommyMommy 
    de Xavier Dolan

     

     Ce film fera date. Grâce à lui, la psychiatrie néo-conservatrice va pouvoir sortir du ghetto où la confinaient les larmoyants détenteurs de l'idéologie compassionnelle et permissive qui domine le monde médical depuis l'avènement de l'accouchement sans douleur.
    L'ingrat et courageux travail de sape opéré en secret par les idéalistes réactionnaires du SDEC - Syndicat de Défense de l'Electrochoc et de la Camisole – s'avère enfin payant. Ce film éblouissant de clarté pédagogique, qui révèle avec brio le désastre économique, moral et humain des méthodes douces, vient à point nommé pour soutenir les réformes en cours dans les pays civilisés, ceux qui ont le courage de reconnaître que l'homme préfère l'ordre à la liberté.

     L'amour ne sert à rien.
    Tout est dit, dès le début, à travers cette réplique qui résume sans détour le propos à l'attention des mal-comprenants dénués d'humour, comme on en trouve beaucoup dans les facs de gauche ou à la terrasse du Café de Flore, bien cachés derrière les pages déployées du Canard Enchaîné avec la lâcheté inhérente aux pacifistes, aux cyniques et autres anarchistes inavoués.
    L'amour ne sert à rien, affirme la matrone en chef de la fourrière pour ados turbulents à laquelle Steve a voulu mettre le feu. C'est un véritable soulagement de voir une telle franchise, si rare au cinéma, illuminer son regard de cerbère bouffi malgré la grimace éloquente qui donne à son visage ingrat un air de cervelas périmé. Au moins, se dit-on, elle sait de quoi elle parle.
    Puis, elle rend le pyromane à sa mère en ricanant de son double menton gélifié car elle connaît la fin de l'histoire.

    Steve, adolescent débile et agressif (double pléonasme) souffre de TDAH – Trouble de Déficit de l'Attention avec Hyperactivité – c'est à dire qu'il est à jamais perdu pour la société sauf à utiliser ses trépignements pour faire de l'électricité comme le proposent certaines discothèques aux épileptiques fans de techno.

    Le jeune réalisateur se livre alors à une brillante démonstration par l'absurde des illusions doucereuses dans lesquelles nous ont entraînés les thérapeutes embrumés de 68 avec des concepts irréalistes tels que l'empathie, l'affection, la thérapie émotionnelle, ou, cerise sur le gâteau, l'amour maternel.
    Même ce déconstructiviste patenté de Laborit l'a reconnu : l'amour n'est que l'entretien d'une relation gratifiante. Et franchement, il n'y a rien de gratifiant à côtoyer chaque jour le fruit détraqué de ses entrailles, qui ne pouvaient être qu'impures pour fabriquer une telle catastrophe.

    L'idée géniale de Xavier Dolan, est de nous faire partager le nécessaire chemin de croix de la mère vers la raison avec humour, cocasserie et une maîtrise du burlesque qui n'est pas sans rappeler les meilleurs pages de Kafka.
    Ainsi le personnage de la voisine est caractéristique de l'ironie un brin sarcastique dont il fait preuve : Steve ne sait pas écouter, elle ne sait pas parler, ils sont fait pour s'entendre. Leur relation ne sera cependant d'aucun secours.

    Tout est dit, une deuxième fois.
    Toute la féminité du monde ne saurait venir à bout de la possessivité agressive de ce monstre d'égoïsme. Bien au contraire, elle ne fait que l'exacerber. Ce qu'il faut c'est une poigne virile, ferme, sévère et juste. Le réalisateur nous fait comprendre avec une grande délicatesse à quel point l'absence du père et le rejet implicite de toute présence masculine, aussi bien par Steve que les femmes qui l'entourent, sont à la base de la dérive de l'adolescent, tant il est vrai que seul un modèle de force, de stabilité et de solidité, qualités inhérentes aux mâles, est capable de faire de l'enfant égoïste un homme responsable, respectable et utile. Ah ! Si seulement on avait plus écouté Abraham que Dolto !

    Certes, l'accent québécois, particulièrement dans la version prolétarienne quasi incompréhensible de la mère, et les jurons surannés des protagonistes, peuvent passer pour une caricature excessive d'une société qui s'abandonne à la facilité, mais une fois ce désagrément accepté, il reste la remarquable narration d'une débâcle annoncée qui retentit comme un cri d'alarme.

    N'encombrez pas les cinglés de votre amour, ils ont suffisamment de problèmes comme ça sans devoir en plus porter le poids de vos projections parentales doublé de celui de vos illusions : ils ne guériront pas et vous y laisserez votre santé.
    Si vous aimez vos enfants, confiez-les à des éducateurs professionnels, qui mieux que vous, sauront les entourer de la fermeté nécessaire pour en faire des citoyens utiles, responsables et obéissants, sans les embarrasser d'une tendresse parasite qui les poussent à se croire uniques alors qu'ils ne sont que spéciaux.

    A noter le choix judicieux de placer l'action dans un milieu social en pleine déliquescence, la classe moyenne inférieure et son oisiveté pudiquement nommée chômage. La permissivité qui la caractérise est en effet un facteur aggravant sinon déclencheur de cette maladie. Jamais un fils de bonne famille n'aurait ainsi pu nuire à la société pour une raison très simple : on l'aurait caché.

    Ce jeune réalisateur a du talent, trop parfois. On pourrait croire un instant qu'il prend parti pour la prise en charge douce et aimante de l'adolescent tant il filme avec justesse la tendresse et le lien fusionnel qui unissent la mère et le fils, tant il dépeint avec subtilité la codépendance bénéfique et ambiguë qui s'installe entre Steve et la voisine. Il s'en faut de peu qu'on n'espère un happy end, ce qui serait un comble. Heureusement, quelque scènes de violence secouent le sentimentalisme menaçant avant qu'on y succombe et la fin tragique vient nous rassurer sur les intentions et la moralité sans tâche de l'auteur.

    Courez voir ce film avant que ne passent effectivement les lois qui pourraient transformer ce cauchemar en réalité.
    Courez vous régaler du jeu époustouflant de Antoine-Olivier Pilon, à la fois charmant, pervers et violent, et qu'on ne peut s'empêcher d'aimer.
    Courez voir Mommy, son courage et sa force de vie surhumaine.

    C'est vrai. L'amour ne sert à rien. C'est ce qui le rend indispensable.

     Pégéo, un jour de plus où les gens raisonnables nous font peur.


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