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    Adieu BertheAdieu Berthe  Adieu Berthe
      Ou l'Enterrement de Mémé

    Adieu Berthe marque le grand retour du thriller à la française sur les écrans. L'intrigue est simple et ce n'est pas la moindre des qualités de ce genre qui connut ses heures de gloire avec Mon Oncle, honteusement plagié par Francis Ford Coppola sous le titre Le Parrain.

    Sous le prétexte fallacieux, quoique hygiénique, d'enterrer une grand-mère aussi fanée qu'un coquelicot grillé par la canicule et les averses de lisier, Armand prépare l'élimination conjointe de sa femme et de sa maîtresse en mettant en concurrence deux entreprises de pompes funèbres. La vraie Mémé a depuis si longtemps disparu des mémoires que nul portrait n'en reste. Chaque croque-mort pourra donc se mettre sous la dent un cadavre faussement rebaptisé Berthe et tout le monde n'y verra que du feu lors de la crémation. Ou alors c'est à n'y rien comprendre. Ou que Berthe n'était pas celle qu'on croyait. Allez savoir avec les vieux, ils se ressemblent tous.
    Indécis et influençable comme la plupart des héros des frères Podalydès, Armand devra faire face au machiavélisme d'une belle-mère acariâtre associée à l'un des margoulins de la finitude, et se dépasser pour trouver enfin la quiétude et, qui sait, la paix éternelle.

    Tout est dit. Et pour une fois en peu de mots.
    Le lente descente aux enfers du héros en proie à ses doutes métaphysiques, auxquels une nécessaire cruauté confère des accents Nietzschéens sur un air d'Emilio Bouglionne, n'est pas, en effet, le principal propos de cette œuvre ambigüe. La véritable intention des auteurs est de nous confronter à ce choix quotidiennement repoussé au nom de l'efficacité industrieuse de nos vies entièrement tournées vers la performance, financière le jour, sexuelle la nuit (sauf pour les prostituées, qui seules savent associer les deux dans une union charnelle du prolétariat et du sport de haut niveau) ; ce choix cornélien et néanmoins ubuesque qui se présente à nous dès notre premier hochet et reste pourtant une source infinie de procrastination tant le sujet nous effraie : Que choisir pour en finir ? La couche en chêne rouge ornée de bandes fluos avec un petit élastique là et des poignées invisibles comme sur les poubelles italiennes ? Ou l'urne thermostatée en inox brossé avec un anneau en latex rose pour les filles, bleu pour les garçons et jaune à paillettes pour les indécis ?
    Autrement dit, doit-on préparer sa fin au risque de passer de mode avant de passer tout court ou bien laisser le mauvais goût des autres s'en emparer comme il le fit de chacun de nos anniversaires ?
    Ni l'un ni l'autre, répondent les auteurs avec une détermination fraternelle, libertaire et égalitariste avant d'entonner le chant des anarchistes paillards : Vivons heureux en attendant la mort.

    Oui, « Vivons heureux en attendant la mort ! » clamait Desproges en constatant que si le chat n'était plus sur les genoux de Mémé, c'est sans doute qu'elle était déjà froide.

    Est-ce pour autant une raison de s'en prendre à l'honorable corporation des croques-morts qui, à l'instar des boulangers, ne manquera jamais de pain sur la planche tant qu'il y aura des hommes pour faucher les blés et du blé pour faucher les hommes ? D'ailleurs, n'est-ce pas dans les vieux pétrins que l'on fait les meilleures bières ?
    N'ont-ils pas eux aussi le droit d'être innovants et d'utiliser les dernières évolutions en matière de technologie et de marketing pour pimenter l'adieu aux hommes d'un dernier éclat de joie, de quelques explosions de couleurs guillerettes, de féérie et de magie, qui rappelleront plus tard aux enfants devenus grands comme on s'était bien amusé le jour où Mémé s'était fait la malle dans une pirouette pyrotechnique époustouflante, juste avant les petits-fours ?
    Quelle lâcheté que de tourner ainsi en dérision le mercantilisme créatif des travailleurs de la mort sans lesquels nos corps sans âmes ne seraient que des dépouilles malodorantes dépourvue de la moindre dignité esthétique !

    Il semblerait bien que, malgré leur éducation versaillaise, les frères Podalydès soient eux aussi adhérents de l'IFA*. Dieu que c'est regrettable et que ce regret est éternel !

    Comme tous les adversaires primaires du capitalisme, qui seul, rappelons-le, permet d'associer l'injustice à la bonne conscience dans l'adoration du progrès, différenciant ainsi l'homme moderne de la femme de Neandertal ; comme tous ces artistes pusillanimes qui associent - à juste titre, certes, mais qui s'en soucie - la croissance financière à la régression mentale, ces deux-là sont avant tout des nostalgiques d'une époque qu'ils n'ont heureusement pas connue, sinon ils applaudiraient comme tout le monde chaque fois qu'un enfant asiatique présente fièrement à son maître la paire de chaussures qu'il vient d'achever et qui accueillera si confortablement les pieds occidentaux rétifs aux semelles de bois.
    Les frères compères ne sont finalement que des enfants qui refusent de grandir et s'enferment depuis leurs premières bobines de Super 8 dans un univers naïvement coloré, tendre et surprotégé, issu de la bibliothèque verte et des albums de Casterman qui inspirent l'essentiel de leurs décors. Cette admirable Malle des Indes aux rayures bleues et blanches, par exemple, qui permet toutes les régressions, tous les tours de magie et, par extension, toutes les disparitions mystérieuses et néanmoins définitives. Plus fort que le Mystère de la Chambre Jaune, Adieu Berthe nous permet de retrouver cet agréable mélange d'illusion et de logique imparable qui nous tient en haleine sans que nous ayons à perdre notre innocence enfantine ni nous confronter à la réalité pesante des cadavres facétieux dont les thrillers sont d'habitude si friands.

    Seule manque à cette œuvre, pour en faire un classique du film noir, la présence d'une vamp digne de ce nom, une Bérénice Béjo par exemple, dont les jambes finement galbées et le regard empreint de perversité aguichante auraient donné un sens bien plus intéressant aux envolées volcanologiques du réalisateur que la prose de Tazieff, tout en chatouillant l’œil humide et la libido à sec du mâle européen, affalé devant le morne défilé des corps sans charmes des goulues de la télé, et qui se demande à quoi il sert depuis que la guerre se fait sans lui, que des femmes torturent elles aussi des taureaux dans les arènes et qu'avouer son désir sans avocat devient plus dangereux que de braquer une pharmacie sans ordonnance.
    Heureusement, les grands yeux clairs d'Isabelle Candelier sont là pour engloutir ses désillusions dans une promesse de fougue conjugale dont les plus amers sauront se réjouir en attendant faute d'être des héros.

    Courez voir ce film, la bière vous semblera plus fraîche et l'ombre des ifs plus accueillante.
    Courez rire de la mort, de l’Alzheimer galopant, de la lâcheté masculine et des maîtresses envahissantes.
    Ah ! Qu'il est bon, quand des nuages glacés crèvent en juillet sur les plages de l'atlantique et que les Syriens crèvent en masse sous le regard glacé de l'alliance atlantique, de savoir que la mort peut aussi nous toucher. C'est donc que nous ne sommes pas si vilains. Et puis c'est si joli une kermesse au milieu des tombes.

     

    Pégéo, un jour que la Mort Subite
    avait un bon goût de pomme.

     

    * Internationale du Film Anticapitaliste : Groupuscule obscurantiste de cinéastes anarchistes dégoulinants de bon sentiments souvent dénoncés ici ou là, ou encore là, il suffit de fouiller dans les critiques.

     


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